Le livre du cercle
cette espèce de secte hérétique. Mais pour l’instant, je vais
les laisser poursuivre leurs fadaises, car de toute façon ils n’aboutiront à
rien et ça les tiendra occupés. Une fois que le sultan Baybars aura accepté la
trêve que je veux lui proposer, je laisserai Everard et ses sous-fifres
inexpérimentés promouvoir leur utopie futile, et pendant ce temps j’utiliserai
les hommes et l’argent à leur disposition pour mes propres desseins. Je doute
qu’ils aillent se plaindre. Après tout, je connais maintenant tous leurs
secrets. Des secrets, nous le savons tous les deux, qu’ils n’ont aucun intérêt
à divulguer au reste du monde.
— Vous
proposez une trêve à Baybars ? demanda Garin, sentant son estomac se retourner.
— Bien
entendu. Ainsi, nos hommes auront la possibilité de se regrouper et de
reprendre la guerre contre les infidèles. Je ne viens pas ici pour faire la
paix, mais pour réaliser le rêve de la Chrétienté. La trêve ne sera que
temporaire. Nous prendrons le temps de rassembler nos forces, puis nous
frapperons les Sarrasins de toute notre puissance.
Le
visage d’Edouard avait pris des couleurs à l’évocation de son futur triomphe.
— Nous
reprendrons Jérusalem et nous nettoierons ses rues comme nous l’avons fait la
première fois que nous avons foulé ces rivages. Nous redeviendrons les gardiens
de la Ville sainte, sur une terre qui nous appartiendra de plein droit.
Garin
ferma les yeux.
— Tout
ce que vous aviez à faire, c’était d’attendre et vous auriez été aussi bien
servi. Quand je pense à toute cette vaine agitation...
— Mais
aucun d’entre nous n’en savait rien, répondit solennellement Édouard. Pas à
l’époque.
Sa
voix s’était adoucie.
— J’ai
toujours besoin d’hommes comme toi, Garin.
— Non,
murmura le chevalier en sentant ses dernières forces s’évanouir et l’abîme se
creuser sous lui. S’il vous plaît, partez.
— Je
peux te faire sortir d’ici, t’obtenir le pardon. Tu pourrais revenir en Angleterre
et revoir ta mère.
Garin
rouvrit soudain les yeux.
— Ma
mère ?
— Elle
ne va pas très bien depuis un moment.
— Vous...
vous l’avez vue ?
Édouard
hocha gravement la tête.
— Elle
vit toujours dans ce petit taudis pourri par l’humidité à Rochester. Tu pourrais
lui donner la vie qu’elle a toujours souhaitée.
— Pourquoi
feriez-vous cela ?
— Parce
que je te connais mieux que tu ne te connais toi-même.
Garin
essaya de refouler les larmes qui lui venaient.
— Non,
c’est faux. J’ai changé.
— Toi
et moi, Garin, nous sommes pareils. Je l’ai senti dès notre première rencontre.
Nous savons tous les deux ce que nous voulons : le pouvoir, la richesse, les
terres, le rang. Mais à la différence des autres hommes, à la différence de
tous ceux qui partagent ces envies, nous sommes prêts à nous battre et à nous
en emparer plutôt que de nous laisser traîner dans la poussière et de nier nos
désirs. En cela, je crois que nous sommes bien plus honnêtes.
Garin
secouait la tête.
— Le
Temple ne me reprendra jamais. Le sénéchal fait partie de l’Anima Templi. Il ne
me laissera jamais reprendre le manteau, il préférerait me voir mort. Il sait
que j’ai essayé de voler le Livre du Graal.
— Tu
n’es pas obligé d’être au Temple pour me servir. Comme je te l’ai dit, je
souhaite étendre mon royaume dès que je serai installé sur le trône. J’aurai
besoin d’aide à l’avenir, il y aura des tas de choses à faire, et très
franchement tes talents ne te servent à rien dans cette geôle.
Edouard
se leva et sa taille en imposa encore davantage à Garin, qui était blotti
contre le mur.
— Je
vois que tu es fatigué. Je te laisse y réfléchir. Je resterai en Acre jusqu’à
ce que la trêve avec Baybars soit officielle, puis je retournerai en Occident
afin de trouver les soutiens nécessaires à une nouvelle croisade. Je suis sûr
que tu arriveras à me faire passer un message quand tu te seras décidé.
Il
alla jusqu’à la porte et frappa. Tandis qu’on levait la poutrelle de l’autre
côté, il posa les yeux sur le baquet de toilette.
— Et
tu devrais demander à ce qu’on te débarrasse de ça, l’odeur est vraiment
épouvantable.
Garin
parvint tout juste à attendre que la porte se referme avant de s’effondrer.
Chapitre 45
Alep, Syrie
10 février 1272 après
J.-C.
Confortablement
assis, Baybars regardait Baraka Khan
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