Le livre du cercle
plein gré.
— Et
la fille ? Comment as-tu pu la laisser faire ça ? Tu pouvais sans doute
l’empêcher. Elle était jeune et toi...
— La
laisser faire ça? la coupa Will. Je n’ai rien laissé faire du tout.
Sa
voix était dure et froide. Il se tut un instant, le temps de se calmer, avant
de poursuivre.
— J’étais
drogué. Je n’étais pas conscient de ce qui m’arrivait. Je ne me rappelle pas de
tout.
Il
fronça les sourcils, soit qu’il essayât de retrouver ses souvenirs, soit qu’il
les empêchât au contraire de refaire surface.
— Je
pense que pendant un moment, j’ai cru que c’était toi. La potion pour me faire
dormir, en plus du fait que j’étais venu pour te voir, c’est à cause de ça, je
pense. Et quand j’ai compris que ce n’était pas toi, il était trop tard : j’étais
paralysé, je ne pouvais même pas parler.
Elwen
avait encore des questions.
— Si
tout ça est vrai, pourquoi n’es-tu pas venu m’en parler ? Pourquoi es-tu parti
sans aucune explication ?
Ses
yeux s’étaient remplis de larmes et elle se tourna brusquement. Will voulut
s’approcher d’elle, mais il en était incapable.
— Le
lendemain matin, dès que j’ai appris ce qui m’était arrivé, j’ai voulu te voir.
Everard m’en a dissuadé. Je... je ne sais pas pourquoi je l’ai écouté. Je ne me
rappelle plus vraiment. Je pense que je nageais en pleine confusion. Il m’a
raconté ce qu’avait fait Garin et...
— Tu
voulais te venger plus que tu ne me voulais, moi, dit-elle en pivotant pour lui
faire face.
Mais
le ton de sa voix n’était plus accusateur, elle se bornait à énoncer un fait.
— Je
ne peux pas t’expliquer dans quel état j’étais, c’est comme si j’avais été
privé de ce choix, répondit difficilement Will, et que j’avais constaté que les
mots ne pouvaient pas suffire à exprimer ce que j’éprouvais. Je me sentais
impuissant, comme si quelque chose avait déteint sur moi... comme si une
maladie, ou quelque chose de mauvais, s’était insinué en moi. Je n’aurais pas
pu vivre avec ça, Elwen. Quand nous nous sommes jetés aux trousses de Garin, je
suis tombé malade. Nous avons dû rester trois mois à Orléans. J’ai failli
mourir. Le temps que je me rétablisse, Garin et le livre étaient déjà partis
pour la Terre sainte, Simon nous avait trouvé un bateau et je savais qu’il
fallait que j’aille au bout de cette histoire, même si j’avais terriblement
envie de te revoir. Je devais retrouver mon honneur.
— Pourquoi
ne m’as-tu pas écrit ? dit-elle après un long silence.
— J’ai
essayé. J’ai commencé cent lettres mais je n’ai jamais réussi à en finir
aucune. Puis le temps a passé et je me suis dit que tu t’étais mariée, que tu
avais fondé une famille, que tu étais heureuse. Je ne voulais pas te blesser,
ou faire intrusion dans ta vie alors que je ne savais pas ce que tu étais
devenue. Et j’avais peur, aussi. Je me suis comporté comme un idiot.
— Oui,
en effet.
Elwen
pinça les lèvres, puis elle lui sourit. L’expression de son visage le surprit.
— Tu
te rappelles que nous parlions de la Terre sainte quand nous étions jeunes ?
Will
opina, l’air morose, mais le sourire d’Elwen s’élargit.
— Quand
j’étais une jeune fille et que je vivais au palais, à Paris, je rêvais souvent
qu’un jour nous irions là-bas tous les deux. L’hiver, quand il y avait du
brouillard, je fermais les yeux et je nous imaginais sur le balcon en marbre
d’un palais doré, aux murs et aux plafonds couverts de joyaux, avec la mer la
plus bleue qu’on puisse imaginer s’étalant à nos pieds.
Elwen
avait presque fermé les yeux.
— Tu
portais une cape de chevalier et une armure polie, et moi une robe blanche en
soie. Tu me prenais dans tes bras et tu me disais que tu m’aimais. Je me suis
endormi en rêvant de cette scène pendant des années.
Elwen
ouvrit les bras en désignant la réserve étroite à l’odeur immonde, avec la
paille au sol et les toiles d’araignées sur les murs fissurés. Puis elle rit.
C’était un rire mélodieux et doux, sans ironie ni amertume.
Will
la regarda et un sourire timide naquit aux commissures de ses lèvres. Il essaya
de le réprimer mais n’y parvint pas, et il partagea bientôt son hilarité. Puis,
semble-t-il sans qu’aucun des deux n’ait bougé, elle fut dans ses bras. Et ils
riaient, sanglotaient et se cramponnaient l’un à l’autre. Puis ils se
séparèrent, et
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