Le livre du cercle
l’inverse qui s’était produit : Baybars était
plus déterminé, violent et imprévisible que jamais. Même la naissance de son
fils ne l’avait pas le moins du monde adouci. Baraka Khan, l’héritier du trône,
était né l’année qui avait suivi l’accession de Baybars au pouvoir. Cela
faisait maintenant cinq ans que son père l’ignorait totalement. Pour lui, il
appartenait à sa mère de l’éduquer, jusqu’à ce qu’il fût en âge d’apprendre à
combattre les Francs.
Omar
savait que son ami était encore là, mais il avait l’impression que Baybars
avait été découpé en deux. Une moitié était encore capable de bonnes actions :
appréciant la beauté et adorant Allah avec ferveur, Baybars avait fait
restaurer Le Caire et avait rétabli le califat en désignant un chef de l’Islam
d’origine bédouine. Mais cette partie de lui était de plus en plus éclipsée par
l’autre, impitoyable et cruelle.
Après
son intronisation, Baybars avait exécuté Aqtai et tous ceux qu’il considérait
comme des partisans de Qutuz. Puis il avait nommé un nouveau gouverneur pour
Alep, prétendant que celui mis en place par son prédécesseur fomentait une
rébellion. Il avait ensuite fait de même à Damas, à Kerak et à Homs, avant de
conclure une alliance avec l’un des généraux mongols. Toutes ces opérations
n’avaient d’autre but que de consolider sa position et de préparer la guerre
contre les chrétiens. Depuis, cela faisait trois fois qu’il quittait Le Caire à
la tête de son armée pour attaquer les Francs.
Omar
n’aimait pas les Francs. Comme tout un chacun, il souhaitait qu’ils partent. Et
il était bien placé pour savoir que la guerre engendre inévitablement la mort.
Mais ce qui le troublait, c’était le plaisir que Baybars semblait éprouver à
faire souffrir ses victimes. Que de fois déjà il avait craint pour l’âme de son
ami.
— Tu
as l’air d’un homme accablé par les soucis, Omar, dit Baybars en bouclant son
ceinturon autour de la taille.
— Non,
je suis juste fatigué.
— Si
tout se passe bien, tu dormiras mieux ce soir. J’ai vu les généraux, les
régiments sont en position. Nous allons concentrer nos forces sur le pont, il a
été abîmé lors de notre dernier assaut, et sur les murs extérieurs de l’autre
côté de la forteresse. Ces deux assauts simultanés les obligeront à diviser
leurs forces. Ce qui devrait nous permettre de nous approcher assez pour lancer
une troisième vague sur la section centrale. Si nous parvenons à percer une
brèche, un régiment se tiendra prêt à pénétrer l’enceinte. Ils en tueront
autant qu’ils pourront avant que les chevaliers n’aient le temps de leur tomber
dessus. Et j’ai encore une autre surprise en réserve pour eux. Elle ne les
tuera pas, mais elle les démoralisera.
Baybars
s’interrompit en étudiant le visage d’Omar.
— Tu
as l’air de douter de ma capacité à les surprendre ?
Omar
évita le regard de Baybars.
— Ils
nous ont déjà repoussés deux fois. Pouvons-nous exécuter , ce plan sans y
perdre trop d’hommes ? Je me demande si nous ne devrions pas nous attaquer à
une cible plus facile. Nous pourrions attendre que les forces de l’émir Kalawun
reviennent de Cilicie pour concentrer notre attention sur Safed. Ce serait...
— La
campagne de Kalawun contre les chrétiens d’Arménie prendra trop de temps, nous
ne pouvons attendre. En prenant le pouvoir, nous avons promis de détruire le
siège du pouvoir des Francs, en Acre. Nous ayons échoué, les hommes ont besoin
d’une victoire. J’ai justement choisi Safed parce que ce sera une victoire
grandiose. Même si nous avons triomphé des Francs à plusieurs reprises ces
dernières années, ils nous regardent toujours avec arrogance. Nous les
inquiétons, mais ils ne nous craignent pas encore véritablement.
— Ah
bon ? interrogea Omar en se souvenant de la terreur qu’exprimaient les visages
de tous les chrétiens qu’il avait aidé à massacrer.
— Te
rappelles-tu, Omar, quand j’ai accepté un échange de prisonniers avec les
barons d’Occident ? Les
Templiers
et ceux qu’ils appellent les Hospitaliers ont refusé, au prétexte que les
musulmans qu’ils tenaient captifs avaient trop de valeur comme esclaves pour
qu’ils les relâchent.
Baybars
faisait les cent pas dans le pavillon, son humeur belliqueuse empirant à chaque
seconde.
— Pour
le moment, ils ne me prennent pas au sérieux. Mais il y
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