Le livre du cercle
survie.
Les
Mamelouks tiraient sur les cordes pour déplacer le chat, dont les roues
grinçaient en montant le chemin vers le pont. Une flèche se planta dans la
nuque d’un de ceux qui le tractaient. Il tomba à la renverse en poussant un
bref hurlement et son cadavre dévala la pente abrupte de la colline, mais un
autre le remplaçait déjà. Le chat s’approchait de la muraille et disparut
bientôt du champ de vision de James. Quelques instants plus tard, il entendit un
bruit sourd en provenance de la barbacane. On aurait dit qu’un géant martelait
le pont.
—
Maître !
L’un
des Syriens montrait quelque chose par-dessus le parapet. James suivit la
direction qu’il lui indiquait et s’aperçut que les Mamelouks déplaçaient plusieurs
mandjaniks vers la partie centrale, dont il avait la charge. Outre celle de
James, il n’y avait que deux autres compagnies à proximité. Leurs forces
étaient pour l’essentiel concentrées sur le pont et sur l’autre extrémité de la
muraille. Il poussa un juron puis se tourna vers ses soldats, qui attendaient
ses ordres.
— Archers,
en place ! dit-il d’une voix ferme mais calme.
Il
se tourna vers Mattius pour l’avertir mais son camarade avait lui aussi vu le
danger. Sa compagnie était prête. James regarda de nouveau les engins en
approche et il leva les mains.
— Attendez,
souffla-t-il à ses hommes tandis que les Mamelouks installaient les mandjaniks
et prenaient leurs postes. Attendez encore.
Les
Mamelouks saisirent les cordes et James baissa la main.
—
Feu !
Les
trois mangonneaux alignés sur les remparts se déclenchèrent au même instant.
Les flèches filèrent dans le sillage des trois énormes projectiles qui venaient
de passer le parapet. Certains Mamelouks virent le danger arriver et tentèrent
de fuir, mais il était trop tard. L’un des projectiles manqua sa cible, mais
les autres frappèrent durement l’ennemi. Il y eut un éclair lumineux et un
début d’incendie se déclara au milieu des mandjaniks et des soldats qui les
manœuvraient, à cause des charges utilisées : des pots d’argile remplis de feu
grégeois, un mélange inflammable de naphte, de poix et de soufre noir. Les pots
explosèrent sous le choc et répandirent leur contenu, propageant les flammes à
tous les engins. Sur la muraille, les soldats syriens jubilaient tandis que les
Mamelouks tombaient les uns après les autres, torches vivantes hurlant leur
effroi en se tortillant sur le sol.
—
Deus vult ! crièrent avec exaltation les hommes sur la muraille.
Dieu
le veut.
— Dieu
bien-aimé, murmura James en apercevant les hommes de Mattius qui se
congratulaient pour cette victoire.
Son
ami scandait lui aussi leur cri de guerre à pleins poumons. James comprenait ce
qu’ils ressentaient, il était impossible d’avoir le triomphe modeste et discret
quand votre vie avait été épargnée, fût-ce au prix de celle de quelqu’un
d’autre. Mais il avait beau être heureux d’avoir sauvé sa vie, il ne parvenait
pas à se réjouir pleinement. Mattius grimaçait dans sa direction, la bouche
ouverte, comme pour l’appeler. James vit que l’expression sur le visage de son
ami se modifiait. Ses yeux et sa bouche s’agrandirent. Au même moment, il
entendit un bruit sifflant. Pendant le très court laps de temps qu’il lui
fallut pour se retourner, le sifflement lui rappela les soudaines bourrasques de
vent qui se levaient parfois sur les landes autour de sa maison, en Écosse.
Puis il vit la forme sombre qui volait dans sa direction. Us n’avaient pas
détruit tous les mandjaniks, l’un d’eux était toujours opérationnel. Tout en se
retournant pour courir, James hurla à ses hommes, toujours occupés aux
célébrations, le poing en l’air, d’en faire autant. La lenteur de ses
mouvements lui donnait l’impression d’être en plein cauchemar. Quand l’impact
eut lieu, il n’avait eu le temps de s’éloigner que de quelques foulées. Une
vague de pierre et de sang le frappa dans le dos et le terrassa. Il s’effondra
sans crier, face contre terre, le souffle coupé. Après le tonnerre de la
maçonnerie qui s’écroulait, une pluie macabre crépita autour de lui. Des
membres arrachés entourés de lambeaux de vêtements, des fragments d’os et de
tendons dénudés, c’était tout ce qui restait des soldats syriens décimés par
cette attaque. James tourna la tête de côté, il sentait le contact rugueux de
la pierre contre sa joue. Il essaya de se
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