Le livre du magicien
exposa sa théorie selon laquelle frère Roger s’était peut-être servi de ce qu’il appelait « latin de cuisine » pour masquer ses secrets et quand il en eut fini, Craon, le menton dans les mains, le dévisagea d’un air dur.
— Eh bien, Pierre, questionna-t-il en s’adressant à Sanson, que répondriez-vous à cela ?
— Sir Hugh a raison, admit Sanson en s’éclaircissant la gorge.
Sa voix haut perchée troubla le silence.
— Je suis moi-même, ajouta-t-il avec un sourire fat qui fendit son gros visage huileux, arrivé à une conclusion similaire.
Il leva la main et claqua des doigts. Le serviteur de Craon apporta sa copie du Secretus secretorum et Bolingbroke plaça l’exemplaire anglais devant son maître. Les échanges furent d’abord courtois, mais le magistrat se retrouva très vite engagé dans une vive discussion pour savoir de quel code secret le franciscain avait bien pu user. Il examina le manuscrit et coucha par écrit certains éléments que frère Roger avait pu utiliser pour masquer ce qu’il voulait dire. Sanson riposta en proposant d’autres explications. Corbett pressa les choses à dessein, gribouillant des notes, les transmettant par-dessus la table et attendant avec impatience la réponse de Sanson. Les heures s’écoulèrent. Le jour se leva derrière la fenêtre. Un intendant entra pour faire remarquer que le ciel était clair et que peut-être il ne neigerait plus. Les hôtes de Sir Edmund voulaient-ils se restaurer ? Les deux partis refusèrent. Corbett concentrait toute son attention sur les Français. Il était moins intéressé par le code du franciscain que par l’écriture de Sanson qui se relâchait le temps passant, mais il était certain qu’il s’agissait de la même main que dans les mystérieuses instructions envoyées à Ufford et dont Bolingbroke avait rapporté des échantillons en Angleterre. Au début de l’après-midi, Sanson, se déclarant épuisé, se carra dans sa chaire et leva les bras au ciel.
— Nous ne pouvons rien faire de plus, nous ne pouvons rien faire de plus.
— J’en suis sûr, admit Corbett.
— Je propose de nous restaurer, dit Craon. Sans parler de répondre aux besoins de la nature.
Des rires accueillirent ses mots et il repoussa sa chaire.
— Sir Hugh, nous pourrions peut-être nous retrouver dans deux heures ? Nous rejoindrez-vous dans la grand-salle ?
— Tout à l’heure, tout à l’heure, répondit Corbett. Moi aussi je suis las. Je dois pourpenser.
Le solar se vida. Corbett resta assis et Ranulf, qui avait perçu le signe discret que son maître lui avait adressé, revint sur ses pas comme s’il cherchait quelque chose.
— Pas ici, chuchota le magistrat, pas ici.
Il entraîna son écuyer hors du solar. Ils traversèrent les cuisines pour gagner la cour puis le baile et enfin le terrain vague qui bordait la garenne du château.
— Sir Hugh, que cherchez-vous à faire ?
— Oublie frère Roger, Ranulf. Je sais à présent pourquoi notre roi s’y intéresse. Il faudra peut-être des mois, voire des années, pour décoder le chiffre de frère Roger. Nous ne parviendrons pas à le comprendre. Ce que je crois, c’est que les trois Français ont été assassinés. Non, non, écoute-moi. Ils ont été tués et Craon est venu à Corfe pour accomplir un de ses desseins secrets. Sanson est sa créature. Il se contente de chanter l’air que fredonne son maître.
Corbett frappa dans ses mains pour se réchauffer.
— Le mystère commence à se dévoiler, Ranulf, mais je ne sais pas encore très bien quel chemin suivre. Les choses doivent rester confidentielles. Quelle que soit la décision prise, continua-t-il sans tenir compte du regard interrogateur de son écuyer, tout cela touche à sa fin. Nous avons fait tous les progrès possibles et Craon ne l’ignore pas.
— C’est vrai, admit Ranulf qui, d’un geste, montra la grand-salle. Hier soir, il faisait remarquer que le temps passait. Si vous avez vu juste, Sir Hugh, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il ait amené ces trois hommes céans pour qu’ils y trépassent. Sa tâche est donc remplie.
— Oh, il faut s’attendre à autre chose ! répondit le magistrat. Au fait, quand les hors-la-loi doivent-ils recevoir le pardon du roi ?
— Demain matin, mais j’ai promis de leur apporter des provisions avant ce soir. Je dois laisser un panier de pain et de viande à l’église.
— Je t’accompagnerai, dit Corbett en
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