Le livre du magicien
les robes des dames étaient bordées de fourrure de lapin.
— Peu importe ! coupa Ratsbayne {21} , petit homme à l’air sournois, en s’avançant. Je sens une odeur de feu de bois.
Il renifla l’air de son nez pointu.
— De quoi manger ! précisa-t-il en gémissant de plaisir.
— Ce doit être Waldus.
Horehound se fiait au fin odorat de Ratsbayne. Ils se hâtèrent dans la sente qui sinuait entre les arbres. Horehound aperçut un rougeoiement au loin. Sans quitter le couvert, il s’approcha de l’orée de la trouée et examina la clairière enneigée. Un feu pétillait au beau milieu, juste à l’endroit où le sol s’élevait avant de redescendre de l’autre côté. Il vit Waldus, les épaules voûtées. Où se trouvait son épouse aux cheveux de lin ? Pourquoi restait-il simplement assis là ? Milkwort rejoignit Horehound.
— J’ai peur, souffla-t-il. Ratsbayne croit que nous sommes suivis, mais il s’inquiète toujours. Qu’a donc Waldus ?
Horehound s’avança à grands pas en faisant voler la neige. Waldus était affalé et quand le bandit lui effleura l’épaule, il s’effondra sur le côté, laissant voir des yeux fixes, une bouche grande ouverte et une affreuse blessure à la gorge d’où le sang avait coulé. Ses chausses et son justaucorps en étaient imbibés. Horehound regarda le bas de l’éminence. Il y avait aussi du sang sur la neige. Il aperçut un fagot de fougères. Une main en sortait et Horehound, horrifié, reconnut une mèche de cheveux de lin. Bégayant de peur, il regarda autour de lui, gêné par la lumière mourante sur la neige. Le reste de la bande surgit. D’instinct, Horehound comprit que c’était une erreur. Un mouvement entre les arbres, un craquement dans les fougères alertèrent les autres. De sombres silhouettes émergeaient. De quelle nouvelle horreur s’agissait-il ?
Horehound tira son poignard et essaya de détacher son arbalète, mais il tremblait et ses doigts étaient moites de sueur. Toute la clairière résonnait de sons menaçants, de cliquetis métalliques et de vibrations d’arcs. Il fut atteint juste au-dessus de la poitrine. Il tomba comme une pierre et les membres de sa troupe trépassèrent un à un autour de lui.
Corbett se réveilla de méchante humeur. Le feu s’était éteint et ni Ranulf ni Bolingbroke n’étaient revenus. Il alla au lavarium s’asperger le visage et, appuyé au manteau de la cheminée, se sécha quelques instants.
Il pensa à Lady Maeve et à ses enfants, se demanda ce qu’ils faisaient et regretta, en son for intérieur, de ne pas être avec eux. Corbett, prenant conscience de sa morosité, déboucla ses fontes, sortit un petit psautier d’hymnes et de chants qu’il avait recopiés et, devant l’âtre, entonna à voix basse le « Felte viri », une complainte sur la mort de Guillaume le Conquérant, puis les trois versets de « Iam dulcis arnica ». Après quoi il se sentit mieux, mais se souvint alors avoir chanté ce second air avec Louis Crotoy sous le porche de l’église St Mary, à Oxford. Revoir le corps froid et rigide de son ami le poussa à agir. Il voulait retourner à la tour de Jérusalem ; quelque chose, dans ce trépas, l’intriguait. Il prit sa chape, la jeta sur ses épaules et s’arrêta.
— Mon vieil ami, chuchota-t-il, m’enseignes-tu encore quelque chose ?
Voilà ! Il se rappela le cadavre de Crotoy, la lourde chape qui l’avait peut-être fait trébucher.
— C’est absurde ! murmura-t-il en s’adressant à la flamme de la chandelle.
Louis était âgé et frileux, et dehors il gelait.
Le magistrat se frotta les mains puis, distraitement, ceignit son baudrier. Il se remémora toutes les fois où il avait vu Louis se promenant autour du château, emmitouflé dans l’épaisse chape : il ne l’aurait pas portée sur le bras, mais bel et bien revêtue ! Pourquoi attendre, pour ce faire, d’être dans le froid glacial, surtout si on quitte une pièce chaude ?
Corbett se félicita, récita à voix basse le requiem pour l’âme de Crotoy et s’empressa de descendre dans la cour. Il la traversa avec précaution, décrocha une torche de son support, se rendit à la tour de Jérusalem et monta jusqu’à la froide antichambre. L’huis était toujours ouvert. Le clerc s’avança avec prudence dans les ténèbres et l’air confiné. Comme il s’y attendait, tous les livres et les manuscrits de Crotoy avaient été emportés, Craon y avait
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