Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
comme une huître et ne pipa plus mot. Sur
l’entrefaite, le Suisse que Hörner avait dépêché à la charrette revint en
courant avec une corde qui se terminait par un nœud coulant. Il lança le bout
libre par-dessus la plus grosse branche de l’arbre auquel le prisonnier était
attaché et du nœud il lui fit une cravate autour du cou. Il fit cela avec des
gestes doux et s’excusa même poliment d’avoir par mégarde heurté le nez de
l’homme en lui passant le funeste nœud. Cette courtoisie effraya le prisonnier
plus que n’auraient fait des injures. Il devint blanc comme neige et cria d’une
voix sans timbre :
    — Messieurs ! Messieurs ! vous n’avez pas le
droit de me pendre !
    — Oh que si ! dit alors mon père en s’avançant. Tu
parles du roi comme s’il était presque mort, ou comme si sa mort n’était
plus qu’une question de jours. C’est crime de lèse-majesté ! En outre, tu
es complice avéré des mécréants qui tendent une lâche embûche au comte
d’Orbieu, Chevalier du Saint-Esprit, et fidèle serviteur de Sa Majesté. Tu
mérites donc deux fois la mort et il est bien dommage qu’on ne puisse te pendre
deux fois.
    La grande allure de mon père, ses cheveux blancs, son ton
calme et assuré et la mention qu’il fit de l’Ordre du Saint-Esprit, firent
grande impression sur le prisonnier. Il se tourna vers moi, trémulant de la
tête aux pieds et dit :
    — Monsieur le Comte, si je vous dis tout ce que vous
voulez savoir sur l’embûche, m’accorderez-vous la vie sauve ?
    — Tu as ma promesse. Mais parle vite. Mes minutes sont
comptées. Les tiennes aussi, si tu te tais.
    Le malheureux, qui bégayait tant la peur lui tenaillait les
tripes, confirma alors la disposition de l’embûche, telle que Hörner l’avait
imaginée ; les charrettes l’une derrière l’autre pour barrer le grand
chemin ; les chevaux parqués à dextre et à senestre dans le bois ;
les soldats postés derrière la charrette et sur les deux côtés du chemin,
cachés dans les taillis. Mieux même : le prisonnier situa la nasse avec
précision. Elle nous attendait à une demi-lieue de nous, après le deuxième
tournant du chemin.
    — Si tu as dit vrai, dit Hörner dont l’accent rauque en
français parut effrayer le prisonnier autant que ses paroles, Monsieur le Comte
t’a promis la vie sauve et tu l’auras. Mais si tu as menti, moi, je te promets
la mort et elle ne sera pas rapide.
    — J’ai dit la vérité, dit le prisonnier, la face
blanche comme craie.
    — À partir de cet instant, dit Hörner, tandis que ses
hommes déliaient le prisonnier de son arbre et le remettaient sur son cheval,
les mains liées derrière le dos, on va cheminer comme sur des œufs ! Pfui
Teufel [37]  ! Une
demi-lieue ! La grand merci, Monsieur le Comte, de m’avoir fait arrêter
cet éclaireur ! C’est nous maintenant qu’il éclaire ! Et c’est
l’ennemi qui n’y voit plus rien…
    Il commanda à ses Suisses de se mettre sur deux files,
chacune marchant sur le bas-côté herbeux de la route, pour qu’on ne pût ouïr de
loin les sabots de leurs chevaux. Comme il n’était pas possible d’en faire autant
pour le carrosse et la charrette, elles suivirent les cavaliers à distance et
au pas.
    Je me ramentois qu’en cette chevauchée silencieuse qui fit
sur moi une impression telle et si grande, il me vint à l’esprit que l’art tant
vanté de la guerre était un art simple qui reposait sur des évidences :
être plus nombreux et mieux armés que l’adversaire, être mieux informés de ses
mouvements qu’il ne l’est des nôtres, le surprendre en l’attaquant là où il s’y
attend le moins… Chose étrange, je me fis ces réflexions alors que mon cœur
battait quelque peu la chamade devant l’imminence du péril, preuve que mon cœur
s’alarmait, alors que ma cervelle restait claire.
    Le hasard, ou notre bonne fortune, voulut qu’on trouvât sur
notre gauche avant le deuxième tournant que nous avait indiqué le prisonnier un
sentier forestier négligé et herbu, assez large pour recevoir le carrosse et la
charrette l’une derrière l’autre et assez long pour que nos chevaux pussent y
paître. Je dis « assez long » pour ce qu’à cinquante toises de là, on
ne pouvait aller plus avant, le sentier, depuis longtemps délaissé, étant coupé
par des fourrés épineux. Cela faisait une sorte de longue clairière et de
clairière fermée, car nos Suisses, coupant

Weitere Kostenlose Bücher