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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et le corps roide.
    — La picorée, dit-il, côté armes et vêtures est
achevée, côté chevaux, cinq sont morts et une bonne dizaine a réussi à prendre
la fuite. Il vous en reste donc quatorze, Monsieur le Comte, pour votre part.
    Je fus un moment avant de répondre, tant me déplaisait
l’idée de m’enrichir du butin de cette tuerie.
    — Côté soldats, reprit Hörner (fidèle à son principe
« les bêtes avant les hommes », il devait de prime parler des
chevaux), nous avons cinq blessés, y compris celui dont la jambe a peu d’espoir
de guérir. Celui-là, Monsieur le Comte, je vous fais un grand merci de le
prendre avec vous dans votre carrosse. Nous avons aussi deux morts,
ajouta-t-il, les larmes lui venant aux yeux, tandis que sa face demeurait
impassible.
    — Ont-ils femme et enfants, Capitaine ?
    — Oui-da, tous les deux.
    — Capitaine, vendez pour moi les chevaux qui me
reviennent et partagez les pécunes entre les deux veuves.
    Hörner m’envisagea comme quelqu’un qui, pris sans vert, ne
saurait plus que dire. Et comme son silence, en s’éternisant, devenait
embarrassant, je lui demandai quand nous pourrions départir pour Fleury en
Bière.
    — Dans une demi-heure, Monsieur le Comte.
    Que longue fut cette demi-heure et longuissime en ma
remembrance le chemin que nous dûmes parcourir, les lanternes allumées, pour
atteindre le château du cardinal !
    Je pensais avoir du mal à me faire ouvrir les grilles en arrivant
en pleine nuit. Mais un des gardes reconnut Charpentier qu’il voyait
quotidiennement en Paris quand le cardinal y séjournait, et le majordome qui,
sur cette entrefaite, était accouru, se ramentut de moi. Il réussit, je ne sais
comment, à loger tout ce monde, et mon père et moi dans la même chambre. Nous
étions sur le point de nous dévêtir, étant fort las, quand le majordome revint
quasi courant pour nous dire que le cardinal nous voulait recevoir sur l’heure
dans son cabinet, mon père, moi-même, Charpentier et le prisonnier. Cette
célérité m’eût laissé béant, si je n’avais su que le prodigieux labeur du
cardinal ne tenait aucun compte du soleil, et qu’il était à sa table de travail
presque autant la nuit que le jour.

 
CHAPITRE VIII
    Lecteur, les événements que je vais te raconter meshui te
paraîtront si dramatiques et en même temps si fols, si absurdes, si hors de
proportion avec la cause qui leur a donné naissance – le mariage de
Monsieur avec Mademoiselle de Montpensier – que tu seras, il se peut,
tenté de les croire incrédibles. Il n’en est rien. La vérité historique n’en
est pas le moindrement douteuse, bien qu’elle puisse être l’objet
d’interprétations diverses, parfois même opposées, selon l’idée favorable ou
défavorable que l’on se fait de Monsieur et de son rôle en ces affaires.
    Nous trouvâmes le cardinal à sa table de travail et à côté
de lui, debout, Monsieur Charpentier qui, à notre entrant, achevait de lui
conter l’embûche du Bois des Fontaines. Dès qu’il nous vit, le cardinal, avec une
émerveillable condescendance, voulut bien se lever pour nous accueillir, tandis
que nous le saluions, le chef découvert et les panaches de nos chapeaux
balayant le sol.
    Nous ayant donné un témoignage tel et si grand de l’estime
où il nous tenait, le cardinal revint à sa table d’un pas rapide, s’assit,
s’excusa courtoisement de donner, ou plutôt de redonner la parole à
Charpentier, afin qu’il achevât de lui narrer l’embûche que nous avions
déjouée. Que pouvais-je faire pendant ce récit sinon envisager, tantôt le
cardinal, et tantôt son chat ?
    Ce chat reposait – et le diable sait quel sentiment de
repos il donnait ! – sur la table de Richelieu en un espace bien
défini dont il ne bougeait pas, la main du cardinal se posant parfois sur sa
tête, mais assez brièvement pour qu’il ne se mît pas à ronronner, ce qui eût
troublé l’entretien des humains.
    La queue soigneusement enroulée autour de ses pattes comme
s’il eût craint de les perdre et enveloppé d’une magnifique fourrure gris
perle, le matou se sentait manifestement fort satisfait d’être là, en situation
dominante et son maître derrière lui. L’œil tour à tour clos, mi-clos ou
largement ouvert, tantôt il feignait de ne pas nous voir et tantôt il nous
envisageait fixement de ses yeux mordorés, où la flamme dansante des bougies
mettait qui-cy qui-là des étincelles

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