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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’ordre du
roi ? »
    Mais ce que n’arrivaient pas à faire la grosse voix et la
membrature carrée de Du Hallier, l’apparition soudain, inattendue et pour
d’aucuns inquiétante, du cardinal l’accomplit en un battement d’œil. Comme la
mer Rouge jadis devant les Hébreux fuyant l’Égypte, la foule des courtisans
s’ouvrit en deux pour livrer passage à Son Éminence – Schomberg, mon père
et moi nous engouffrant à sa suite.
    Richelieu murmura quelques mots à l’oreille du capitaine
dont la face, à sa vue, était devenue aussi rouge que sa barbe. Sur ce murmure,
l’ange Du Hallier – mais quelle étrange figure faisait cet
ange-là ! – ouvrit tout doucement la porte du ciel, et doucement la
referma sur nous – nous laissant dans la demi-pénombre de la chambre (les
rideaux n’étant pas encore tirés) face à Berlinghen qui, se génuflexant devant
le cardinal, dit dans un souffle : « Monseigneur ! Le roi est à
ses prières ! » Tant est que nous entrâmes à pas de loup et, nous
arrêtant derrière les balustres, à bonne distance du roi, le souffle retenu et
nous changeant de notre plein gré en statues de sel, comme l’étaient déjà le
Révérend docteur Héroard, Soupite et derrière nous, Berlinghen.
    Le roi ne nous vit, ni ne nous ouït, tant ses
« Notre-Père » l’absorbaient. Il ne rendait pas grâce au Seigneur sur
un prie-Dieu, mais à genoux devant son lit, la tête dans ses mains. Notre ami,
le chanoine Fogacer du Chapitre de Notre-Dame, était accoutumé de dire que
Louis priait avec tant d’ardeur et de ferveur qu’à le voir aussi ferme en sa
piété, même un Sarrasin se convertirait. Bien que ce ne fût là qu’une petite
gausserie d’Église bien éloignée de la réalité, il est bien vrai que Louis
montrait en ses oraisons un élan et une foi qu’on n’eut jamais l’occasion de
remarquer chez son père. Mais il est vrai que les circonstances de sa vie
aventureuse avaient amené Henri IV à changer tant de fois de religion, et le
plus souvent de force forcée, que le fanatisme des hommes l’avait peu à peu
éloigné des églises.
    Le Révérend docteur Héroard, qui avait pris soin de Louis
depuis la première heure de son existence, se tenait à deux toises de son
patient, mais à l’intérieur des balustres. Il me parut bien vieilli et chenu,
ses traits marqués par une grande lassitude à vivre dont je n’augurais rien de
bon. Changé comme nous en statue, ses yeux seuls vivaient dans sa face flétrie
et envisageaient Louis avec cette grande amour à la fois révérencielle et
maternelle qu’il avait nourrie pour lui dès le premier jour de sa vie.
« C’est vrai, disait mon père, Héroard adore le roi, mais il le soigne mal
et peut-être funestement. »
    Le roi, s’étant dit « amen » à lui-même, retira
les mains de son visage, se signa et nous aperçut, ou plutôt il aperçut de
prime le cardinal, et ses yeux s’éclairèrent. Il était difficile de ne pas lire
dans ce regard les sentiments d’affection, d’admiration et de gratitude qu’il
nourrissait pour Richelieu et son immense soulagement à le revoir sain et sauf,
après qu’il eut tremblé qu’on ne lui tuât le serviteur providentiel dont le
génie et le labeur soutenaient son trône.
    Je ne doute pas qu’il eût à ce moment-là le désir d’exprimer
la richesse de ses sentiments. Mais le bégaiement de son enfance dont il
conservait encore quelques traces lui avait noué la langue. Comme il le disait
déjà en sa dixième année, « je ne suis pas grand parleur ». Et en
effet, il était loin, bien loin de posséder la faculté émerveillable de son
père à improviser – soit dans la gausserie, soit dans la truculence –
le discours que les circonstances appelaient. Et tout ce que Louis parvint à
dire en ces retrouvailles se borna à deux courtes phrases :
    — Mon cousin, je suis bien aise de vous revoir. De
grâce, prenez place !
    — Un grand merci, Sire, dit Richelieu qui toutefois
n’en fit rien, n’ignorant pas que le roi, bien qu’il fût sincère en le priant
de s’asseoir, s’offusquerait en son for quand il le verrait assis en sa
présence, étant en effet fort à cheval sur les marques de respect qu’on lui
devait, précisément pour ce qu’elles lui avaient beaucoup failli en ses jeunes
années, la reine-mère l’humiliant à plaisir en public et l’infâme Concini
poussant l’insolence jusqu’à s’adresser à lui le

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