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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Comte. Cela vous fâche-t-il ?
    — Pas du tout. Mais si j’approche Monsieur de Chalais
dans ce sens, je gage qu’il me proposera un barguin à son avantage pour passer
subrepticement de son camp dans le nôtre.
    — Vous ne vous trompez pas. Dites-moi alors quelles
sont les exigences de Chalais, et si elles ne sont pas exorbitantes, je
demanderai au roi de les accepter. Mais, bien entendu, le roi ne tiendra sa
promesse qu’après le mariage de Monsieur.
    — Éminence, quelles sont vos instructions ?
dis-je, bien certain que le cardinal avait tout prévu et tout arrangé pour me
permettre d’accomplir au mieux ma mission.
    — Vous aurez de grandes facilités. Sous prétexte que le
château ne peut vous recevoir faute de place, je vous ai logé dans l’auberge de L’Autruche sous la garde d’une dizaine de mousquetaires. Invitez Chalais
à dîner dans votre chambre au bec à bec, loin des yeux et des oreilles de la
Cour et là, retour-nez-le.
    — Éminence, comment me recommandez-vous de m’y
prendre ?
    — Comte, suivez votre inspiration du moment, mais
seulement, ajouta-t-il avec un demi-sourire, après y avoir longuement réfléchi.
Usez de votre amabilité naturelle. Ce sera déjà beaucoup. Et puis,
Henri IV n’a-t-il pas été votre maître ? Inspirez-vous de lui !
Il vous a sûrement appris qu’ « on attrape plus de mouches avec une
cuillerée de miel qu’avec un tonneau de vinaigre ». Toutefois, Comte,
ajouta-t-il, je me dois de vous prévenir que si votre démarche auprès de
Chalais est connue (et il ne se peut qu’elle ne le soit un jour, le poupelet
étant si babillard) vous courrez derechef les plus grands dangers.
    — Éminence, je l’ai bien entendu ainsi. Mais ces
dangers font partie du service que je dois au roi, et par voie de conséquence à
vous-même, qui êtes son plus ferme soutien dans l’État.
    Ceci fut dit d’un ton respectueux, mais sans flagornerie, et
le cardinal l’entendit bien ainsi. Il ne dit mot ni miette, mais son regard parla
pour lui. Il me serra légèrement le bras, puis le lâcha et rejoignit nos
compagnons, moi-même lui emboîtant le pas.
    Devant les appartements de Monsieur, son lever étant
maintenant imminent, une foule de courtisans se pressait et elle était, je le
constatais avec un serrement de cœur, sensiblement plus nombreuse que celle que
nous avions dû traverser pour atteindre la porte du roi. C’est vrai que l’heure
du lever de Monsieur était moins matinale, mais à mon sentiment, il n’y avait
pas que l’heure à considérer. Bien que le gros des courtisans ne fût pas dans
le secret des dieux, des bruits couraient : des libelles circulaient,
traînant le roi et Richelieu dans la boue, annonçant la mort prochaine d’un
« roi débile », et l’assassinat de ce « faquin de cardinal ».
On n’ignorait pas que la propre épouse du roi animait la cabale, ainsi que
Monsieur, son frère cadet, et ses demi-frères Vendôme ; qu’elle était, en
outre, soutenue par le comte de Soissons, deuxième prince du sang et par bon
nombre de Grands, par les protestants toujours prêts à se révolter, par les
Anglais (sous l’influence de Buckingham, quasi enragé qu’on lui eût interdit de
mettre le pied en France après l’incident du jardin d’Amiens) et même par notre
allié le duc de Savoie qui se disait prêt à envoyer aux rebelles dix mille
soldats. Tant est que dans les incertitudes de l’heure, bon nombre de
courtisans trouvaient plus sage d’adorer l’étoile qui se levait plutôt que
l’astre que d’aucuns disaient déjà déclinant.
    Cette foule se fendit devant le cardinal aussi aisément que
la première, mais d’une façon à mon avis plus intimidée et en même temps moins
révérencieuse, Richelieu n’étant pas en odeur de sainteté auprès des amis de
Monsieur depuis l’arrestation du maréchal d’Ornano dont on lui attribuait la
responsabilité, alors même que le roi, seul, l’avait ordonnée.
    Quand nous fûmes enfin introduits dans la chambre de
Monsieur, l’émotion dont nous avions été les témoins chez ces courtisans ne fut
quasiment rien de plus que le battement d’ailes d’oiseaux effrayés, comparée à
celle de Monsieur. Assis au bord de sa couche, vêtu de sa seule robe de nuit,
le cheveu hirsute, les paupières à peine décloses, il n’en crut pas ses yeux de
voir surgir tout à la fois au même instant devant lui l’homme à qui il avait
tendu une embûche mortelle

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