Le Lys Et La Pourpre
chapeau sur la tête.
— Sire, reprit Richelieu après un temps, plaise à vous
de me permettre de vous présenter le marquis de Siorac qui a si bien servi
Henri III et Henri IV.
— Je sais ce qu’il en est des missions périlleuses que
Monsieur de Siorac mena à bien pour conforter le trône de mon père. Si tous nos
sujets étaient comme lui de véritables Français, nous n’aurions pas ce jour à
démêler ces mortelles brouilleries.
— Sire, dit le marquis, je n’ai fait, dans le présent
prédicament, qu’aider mon fils à sortir d’une embûche mortelle.
— Mais aider d’Orbieu, c’est aussi m’aider moi, dit
gravement le roi, car d’Orbieu me sert avec une fidélité sans faille et c’est
bien pourquoi ces rebelles s’en sont pris à lui.
Comme le roi achevait, Soupite s’avança, porteur de la
chemise royale et la remit au cardinal qui, mettant un genou à terre, la
présenta au roi. Louis, se dérobant alors de sa robe de nuit, mit la chemise
et, aidé de Soupite et de Berlinghen, s’habilla. Tout me parut réglé à la
seconde près car à peine les deux valets de chambre avaient-ils fini de vêtir
Louis que deux marmitons apparurent qui portaient son déjeuner, lequel me parut
fort copieux pour un seul homme, cet homme-là fût-il le roi. Mais il est vrai,
comme disait mon grand-père le baron de Mespech, que « chasser le renard
donne une faim de loup ».
Un incident survint alors qui ralentit quelque peu la bonne
marche de ce lever, et m’eût paru comique, si je n’avais pas su l’importance
inouïe que revêtaient à la Cour les questions de préséance :
Berlinghen eût dû agir pour remettre la serviette au roi
comme Soupite avait fait pour remettre la chemise : la confier au
personnage présent le plus élevé dans l’État. Or, que ce fût distraction,
oubli, souci d’équilibre ou, comme je crois, ensommeillement, Berlinghen la
tendit au maréchal de Schomberg.
Il y eut dans la chambre royale une sorte de commotion. Et
la marche même du temps parut s’arrêter. Schomberg s’immobilisa, le visage de
marbre, les bras le long du corps, et n’esquissa pas le moindre mouvement pour
saisir la serviette, comme s’il eût pensé que la toucher lui allait brûler la
main.
La bévue de Berlinghen était manifeste. Je me demandais ce
que Richelieu allait faire et l’envisageai avec la plus vive curiosité, le
sachant lui aussi fort rigoureux sur le chapitre des préséances, comme il
l’avait bien montré quand il était entré au Conseil des affaires, luttant bec
et ongles pour que son rang fût reconnu et ses droits, respectés.
Si j’avais craint un éclat, mes craintes se révélèrent mal
fondées. Les yeux mi-clos, la tête baissée, le corps incliné vers l’avant, les
deux mains modestement posées sur sa ceinture cardinalice, Richelieu était
devenu en un tournemain l’image même de l’humilité muette, quoique souffrante.
La finesse de cette attitude me sauta aux yeux. Richelieu ne
voulait pas, en protestant, offenser Schomberg, son ami et son protégé, et s’en
remettait silencieusement au roi pour rétablir l’ordre des choses.
Et le roi, en effet, trancha.
— Berlinghen, dit-il en levant la tête de son déjeuner,
tu devrais relire Le livret de protocole que nous devons à
Henri III. Cela t’éviterait des erreurs.
Ceci fut dit sans la roideur que Louis mettait à l’ordinaire
dans ses remontrances, mais d’un ton assez débonnaire pour enlever toute
importance à l’incident. Berlinghen, tout rougissant, se tourna alors vers le
cardinal et, mettant un genou à terre, lui présenta la serviette en balbutiant
des excuses.
— Cela n’est rien, mon fils, dit le cardinal d’une voix
douce. Errare humanum est [51] .
Sous cette citation à la fois latine et cléricale,
l’incident fut enterré et le roi put enfin s’essuyer la bouche et les mains.
— Mon cousin, dit-il en s’adressant au cardinal, je suis
déjà instruit par votre courrier de l’embûche qu’a déjouée d’Orbieu et je
voudrais maintenant connaître dans le détail celle qui vous menace.
Bien que je connusse tous les faits que Richelieu allait
porter à la connaissance de Sa Majesté, j’écoutai avec plaisir ce qu’il avait à
dire, tant il y mit d’ordre, de méthode et d’éloquence. Il divisa son rapport
en trois parties. Primo, la confession de Monsieur de Bazainville dans
mon carrosse. Secundo , le deuxième témoignage, corroborant fortement
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