Le Lys Et La Pourpre
plus
forte raison pour Richelieu, qui entreprit aussitôt de rassurer Son Altesse,
craignant que la peur – non suivie de conséquence, puisque l’héritier
présomptif était intouchable – n’eût pour effet que de ranimer ses
intentions meurtrières.
— Monseigneur, reprit-il, je suis d’autant plus marri
que vous ne puissiez venir ce soir à Fleury en Bière que le château vous eût
plu infiniment par ses vastes proportions et l’agrément de son parc. Et, à ce
propos, j’aimerais vous dire que, si vous sentant un peu à l’étroit à Fontainebleau,
vous désirez demeurer à Fleury en Bière, je vous céderais très volontiers la
place, me contentant de Maison Rouge qui est bien assez grande pour moi
et pour mes serviteurs.
Cette offre, articulée d’un ton doux et modeste, parut si
généreuse à Monsieur, que tout en la refusant avec mille mercis, il en fut très
touché. Je me fis cette réflexion que Monsieur l’eût été beaucoup moins, s’il
avait pu savoir à ce moment-là que le roi avait décidé de ne laisser en aucun
cas son frère cadet hors de sa vue, fût-ce dans un château voisin, la raison en
étant qu’il craignait que son cadet ne réussît à s’enfuir et à se réfugier en
Bretagne où il eût pu, avec l’appui des frères Vendôme, des Anglais et des
protestants, rameuter les Grands contre son frère aîné, voire engager une
guerre civile qui eût sinistrement rappelé celle que la reine-mère, par deux
fois, avait soutenue contre Louis.
Monsieur était très sensible aux gentillesses qu’on lui
faisait. Homme de tous les doutes, il changeait aussi facilement d’opinion que
de projet et après l’offre que lui fit le cardinal de lui laisser Fleury en
Bière, il commença à douter que le cardinal fût aussi méchant qu’il l’avait
cru, ni qu’il connût vraiment l’embûche préparée par ses soins contre lui, ni
même qu’il ait eu une part dans l’arrestation du maréchal d’Ornano. En outre,
l’autorité douce du cardinal, l’affabilité de ses manières, l’élégance de ses
paroles, son charme enfin, l’avaient, par degrés, conquis. À l’envisager avec
attention, j’observai que la crainte avait disparu de son visage, laissant
place à une expression quasi révérencieuse.
— Mon cousin, dit-il enfin, pensez-vous que le roi
pourrait un jour libérer d’Ornano ?
La question me parut naïve, car elle montrait à quel point
Monsieur connaissait mal son frère, ignorant tout à la fois la roideur de sa
volonté et la force de ses ressentiments. À cela, Richelieu répondit très
promptement, preuve qu’il avait prévu la question et pesé sa réplique dans de
fines balances.
— Monseigneur, dit-il, quand il s’agit des affaires
intéressant sa propre famille, le roi aime à délibérer seul. Il est donc
difficile de savoir par avance ce qu’il décidera. Néanmoins, le roi vous aime
beaucoup. Il a prévu, si vous consentez à ce mariage, de vous doter d’un
apanage tel et si grand que même sans la fortune immense de Mademoiselle de
Montpensier, il ferait de vous le gentilhomme le plus riche du royaume. Que
Votre Altesse royale en juge : vous recevrez cinq cent soixante mille
livres de pension annuelle à laquelle s’ajoutera une rente de cent mille écus.
Quant à l’apanage en domaines, il comprend le duché d’Orléans et le comté de
Blois. Mieux même, le roi le jugeant encore, malgré sa richesse et son étendue,
insuffisant, a exprimé le désir de m’acheter, pour vous le donner, le comté de
Limours et son château, achat auquel j’ai aussitôt consenti pour être agréable
au roi et du même coup à vous-même…
Qui n’eût pas été ébloui par un tel apanage, assurément un
des plus beaux que jamais roi eût offert à son frère puîné en ce royaume ?
Et comment Monsieur eût-il pu faillir à se sentir touché que Richelieu
consentît à vendre d’un cœur léger ce château de Limours qu’il avait payé deux
cent soixante-dix mille livres et pour lequel il avait dépensé en
embellissements plus de quatre cent mille livres ?
Monsieur, plus tard, fit aigrement remarquer que le cardinal
était alors tout plein dégoûté de Limours : il avait fait construire dans
le parc de magnifiques bassins, mais même en allant la chercher très loin, il
n’avait pu trouver d’eau en quantité suffisante pour les remplir. « Comme
quoi, gaussa La Surie, quand je lui contai ce trait, même à un génie politique,
il
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