Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
sur le grand chemin de Paris à Fleury en Bière et le
cardinal ministre qu’il avait fait le projet d’assassiner chez lui le soir même
au cours d’un dîner à l’italienne [52] .
    Il pâlit à la limite de la pâmoison, son corps se figeant
dans une paralysie soudaine, tandis que ses mains trémulaient au point qu’il
les cacha sous ses aisselles. Il ouvrit la bouche, mais au moment de parler,
aucun son n’en sortit, car il venait de reconnaître, derrière la frêle
silhouette du cardinal, la silhouette massive du capitaine du Hallier, l’homme
choisi à l’accoutumée par le roi pour procéder aux arrestations qu’il avait
décidées.
    Monsieur, je crois l’avoir dit déjà, n’était pas couard et
le prouva dans nos guerres. Mais tel qui n’est point peureux devant le canon,
le devient devant des fantômes ou devant sa propre conscience. L’extrême pâleur
de Monsieur, les gouttes de sueur qui ruisselaient sur ses joues, et la
paralysie persistante de ses membres et de sa langue montraient à quel point il
était terrifié. Cependant, en face de lui, le cardinal, le visage serein et
amical, envisageait Monsieur avec tout le respect dû à son rang. Il se
génuflexa devant lui, aussitôt imité par Schomberg, Du Hallier et moi et, les saluts
terminés, il dit d’une voix douce, à la fois velours et miel :
    — Monseigneur, plaise à Votre Altesse de me faire
l’honneur de lui présenter la chemise.
    Mais loin de rassurer Monsieur, cette humble requête et ce
ton suave ne firent que l’inquiéter davantage, car il se ramentevait que dans
les minutes qui avaient précédé l’arrestation du maréchal d’Ornano,
Louis XIII, tout sourires, s’entretenait aimablement avec lui en jouant de
la guitare. Or, Monsieur, je l’ai dit, croyait Richelieu responsable de cette
arrestation et, pour cette raison, il le tenait à grande détestation. Pourtant,
il hésitait. Lui refuser la chemise violait le protocole. La lui donner,
c’était se faire violence à soi-même. Ah ! Comme Monsieur aurait aimé
qu’entrassent à ce moment dans sa chambre le duc de Vendôme et le grand prieur,
tous deux princes légitimés, et, à ce titre, ayant le pas sur le cardinal. Mais
les Vendôme n’assistaient jamais à son lever, se jugeant plus hauts que le roi,
à plus forte raison que son cadet, et dans leur folle outrecuidance, auraient
plus volontiers reçu la chemise des mains de Monsieur qu’accepter de la lui
tendre.
    À la parfin, Monsieur se décida, fit un signe à un de ses
valets et le valet remit la chemise au cardinal qui, avec tout le respect
possible, la tendit à Monsieur qui, se dévêtant de sa robe de nuit, passa la
chemise comme si elle allait devenir sur lui la tunique de Nessus et lui brûler
la peau.
    Les deux valets s’approchèrent alors de Monsieur pour le
vêtir, et une fois vêtu, Monsieur commença à se ranimer, d’autant qu’il ne
voyait pas entrer dans ses appartements les gardes qui, à la suite de Du
Hallier, assuraient, les piques basses, les arrestations.
    — Monseigneur, poursuivit Richelieu d’une voix douce,
je suis venu vous visiter ce matin tout exprès pour vous présenter mes plus
humbles excuses de ne pouvoir vous régaler ce soir d’un dîner à Fleury en
Bière. Assurément, cette invitation, si flatteuse pour moi, m’eût apporté un
plaisir infini. Par malheur, les moyens matériels me manquent par trop pour
pouvoir répondre à votre désir et traiter Votre Altesse d’une façon qui
convienne à son rang.
    Me tenant à la droite de Richelieu, mais un peu en retrait,
je ne voyais le cardinal qu’à profil perdu, mais j’oyais toutefois, non sans un
certain plaisir, les sonorités de sa voix, lesquelles me parurent dépasser en
suavité rassurante le ronronnement d’un chat. En revanche, je voyais à plein
Monsieur et s’il n’avait été si pâle, je lui eusse trouvé la face fort belle,
avec des yeux brillants d’esprit, des traits réguliers, une physionomie pleine
d’agrément, tout cela néanmoins quelque peu gâté par un air d’irrésolution, et
aussi par le fait qu’il ne maîtrisait pas assez ses émeuvements pour qu’ils ne
parussent pas sur son visage.
    Quand Richelieu repoussa, avec une politesse exquise, le
dîner de Fleury en Bière, ce que Monsieur en pensa éclata sur son visage :
« Il sait tout ! On m’a trahi ! » Et si cette pensée-là fut
tout aussi claire pour moi que si Monsieur l’avait réellement prononcée, à

Weitere Kostenlose Bücher