Le Lys Et La Pourpre
merveille, car deux d’entre eux se mirent incontinent à
panser mon Accla.
On se ramentoit qu’Accla était la jument de mon père en ses
jeunesses. Il m’en avait tant parlé et avec tant d’affection que je l’avais
voulu en quelque sorte ressusciter en donnant son nom à ma propre monture qui
était fraîche émoulue du dresseur et n’avait pas quatre ans.
Des écuries, je passai chez le maître gymnaste où je pensais
trouver Monsieur de Chalais car il ne demeurait pas un seul jour sans faire
toutes sortes d’exercices pour fortifier ce beau corps dont il était si fier.
Cet espoir ayant failli, je gagnai la salle d’escrime,
laquelle m’assourdit dès l’entrant par les battements de pieds, les froissements
de fer, et parfois, les hurlades que d’aucuns poussaient en portant leurs
bottes. Une forte odeur de sueur y régnait et les respirations haletantes des
combattants mettaient de la buée aux vitres. À mon immense soulagement, je
reconnus, à sa haute et svelte silhouette, et à ses lumineux cheveux blancs, le
commandeur de Valençay. Il avait face à lui un petit poupelet de cour qui se
démenait comme diable en boîte sans jamais réussir à toucher le plastron du
commandeur, lequel, avec une émerveillable économie de gestes, détournait à
chaque fois sa lame d’un air paisible et olympien.
À ma vue, il recula d’un pas, salua son adversaire de son
épée. Le coquardeau le contresalua, le remercia et s’en fut, plus mouillé de
sueur qu’un oisillon qui serait resté toute la nuit sous la pluie.
Le commandeur me fit signe de m’avancer tandis que, de son
côté, il reculait pour s’accoter le dos au mur. Quand je fus assez près de lui,
il me souffla de ne point ôter mon chapeau, mon panache de plumes me protégeant
des regards trop curieux. Ces précautions me donnèrent à penser que j’étais
devenu, depuis l’embûche du Bois des Fontaines, un personnage dont la
fréquentation n’était pas sans danger.
— Monsieur le Commandeur, dis-je à voix basse, je serai
bref puisqu’il me semble que vous le désirez : je voudrais savoir où
trouver votre neveu.
— Comte, dit le commandeur, que lui voulez-vous ?
— Rien que du bien, et sur l’ordre de qui vous savez.
— Mais encore ?
— J’ai mission, par la douceur et la persuasion, de le
regagner à la cause qui devrait être la sienne.
— Me jurez-vous de ne lui faire aucun mal ?
Directement ou indirectement ?
— Je le jure.
— Vous le trouverez à l’auberge de L’Autruche.
— Eh quoi ? Y loge-t-il ?
— Nenni. Il y coquelique avec un cotillon.
Ceci fut dit avec quelque déprisement, le commandeur étant
un homme de vertu austère.
— Monsieur le Commandeur, dis-je, la grand merci à
vous. Je vais de ce pas rejoindre l’auberge de L’Autruche et tâcher de
remettre votre neveu dans le droit chemin.
— Ah ! Mon ami ! dit le commandeur avec
quelque émeuvement. Puissiez-vous réussir ! Tête bleue ! Je me fais
sur ce béjaune un souci à mes ongles ronger ! Le malheur est que ce naïf
écervelé se croit un génie de l’intrigue ! Alors qu’il est tout juste bon
à se battre en duel, à monter des chevaux fougueux, à courir la bague et à
biscotter les mignotes. Et encore ! S’il se contentait de ces
manœuvres-là ! Mais le brouillon veut brouillonner à la tête de
l’État ! Lui, qui n’a pas plus de cervelle qu’un moineau tombé du nid, il
veut en remontrer au cardinal, qui est fin comme l’ambre ! Et au roi, qui
est ferme comme roc ! Ah ! J’enrage ! Partez, mon ami !
Partez ! Et pour plus de discrétion, partez sans me saluer…
Je regagnai les écuries où je trouvai mon Accla brossée et
étrillée de tous côtés. Elle hennit tendrement en me voyant, et les
palefreniers ayant reçu de moi l’ordre de la seller, c’est à peine si, se
sentant si belle et si propre, elle consentit à les laisser faire, alors même
que c’était de son intérêt le plus évident, car en fait elle n’aspirait qu’à
saillir de ces écuries étouffantes pour aspirer l’air frais du plat pays.
L’alberguière de L’Autruche m’attendait, fort
languissante d’être enfin payée de ses débours. Elle s’appelait Toinette et
c’était une puce de femme, mais une assez jolie puce, vive, bon bec ;
toutefois, l’œil dur et la menotte avide. Je trouvai bien l’addition un peu
lourde mais noulus en disputer, ayant besoin du concours de l’hôtesse et
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