Le Lys Et La Pourpre
simplicité même de cette lettre, ces
phrases sans art ni artifice, contribuent à l’impression de sincérité qu’on
retire de sa lecture. Cette admiration, cette gratitude, cette affection enfin,
à l’égard du cardinal, sonnent vrai. Elles viennent du cœur. Et il me semble
aussi qu’il y a quelque grandeur chez un roi si ombrageusement jaloux de son
pouvoir à reconnaître chez un ministre le génie qu’il ne possède pas et à le
lui exprimer tout uniment en disant : « Je vous prie de ne point vous
retirer car mes affaires iraient mal. »
Toutefois, alors qu’il assure Richelieu de sa confiance, il
ne l’avise pas de son intention d’arrêter les frères Vendôme. Sans doute
craint-il, non point une indiscrétion de son ministre, mais que le porteur de
la lettre soit intercepté.
Cependant, quatre jours plus tard, l’arrestation des frères
Vendôme étant faite et bien faite, Louis écrit derechef à Richelieu, cette fois
pour la lui annoncer le premier.
« Mon cousin avant trouvé
bon de faire arrêter mes frères naturels, le duc de Vendôme et le grand prieur,
pour bonnes considérations importantes à mon état et repos de mes sujets, j’ai
bien voulu vous en donner avis et vous prier de vous rendre près de moi le plus
tôt que votre santé le pourra permettre. Je vous attends en ce lieu et prie
Dieu de vous avoir toujours, mon cousin, en sa sainte protection. »
Quelle réponse irréfutable ne trouve-t-on pas ici à ces peu
ragoûtants libellistes qui criaillaient haut et fort dans leurs infâmes
pamphlets contre le roi qu’ils qualifiaient d’« idiot », de
« débile » et d’« incapable » et qui n’était, selon eux,
qu’un toton [53] aux mains de
Richelieu !
Louis a pris seul la décision de rassembler une armée pour
courre sus à ses frères. Seul encore, usant de ruse, et utilisant cette armée,
non pour l’emploi mais pour l’intimidation, il a attiré ses frères à Blois en
faisant luire à leurs yeux l’espoir d’un pardon, et seul derechef il décide de
les mettre définitivement hors jeu en les envoyant épouser le donjon de
Vincennes. Je le demande aux détracteurs de ce grand prince : qui prit les
décisions en ce prédicament ? Et quel fut le politique habile et
résolu ? Richelieu ou Louis XIII ?
Assurément, la cabale n’était que partiellement décapitée.
Louis lui avait ôté deux chefs importants, et qui mieux est, son bastion :
la Bretagne. Il nomma aussi gouverneur, en remplacement de Vendôme, le fidèle
maréchal de Thémines. Hélas ! Il reste encore Monsieur que, « pour
des considérations importantes à l’État », on ne peut embastiller.
Lecteur, je fus mêlé à ce qui suivit et voudrais t’en dire
ma râtelée. Ma chambre au château de Blois se trouvait placée entre les
appartements de Monsieur et la chambre du marquis de Chalais. Tant est que le
marquis de Chalais, dès qu’il me vit, se jeta sur moi à l’étouffade et prit
tant habitude à moi qu’il me voulait voir tous les jours, entrant dans ma
chambre à toute heure pour babiller de tout et de rien, mais principalement de
lui-même. Je lui prêtais courtoisement une oreille distraite, ou plutôt
abstraite, qui réduisait ses récits à un bourdonnement indistinct et lointain,
jusqu’au jour où un nom qu’il cita m’éveillant me fit dresser l’oreille.
L’oisillon parlait de la duchesse de Chevreuse et me dit qu’il en était tombé
depuis peu « follement amoureux ».
J’en fus béant ! C’était pour le coup que j’ouvris
grandes mes oreilles. La duchesse de Chevreuse ! La plus infernale succube
du cercle des vertugadins diaboliques ! Celle de qui procédait toute la
cabale contre le mariage de Monsieur ! Et qui était la principale
inspiratrice de tous les projets criminels qu’on avait vus naître ! Dans
quelles mains le pauvret était tombé ! Et quel dangereux outil la démone pouvait
faire de ce béjaune, le façonnant en même temps qu’elle le fascinait…
— Teste ! Mon cher ! délirait Chalais en se
promenant de long en large dans ma chambre ! C’est la plus belle dame de
la Cour ! Je donnerais de mon épée dans le ventre de qui oserait dire le
contraire ! Et une duchesse ! Alliée à la maison de Guise ! Et
qui plus est la favorite de Sa Majesté la Reine ! Et c’est elle qui la
première m’a donné le bel œil ! Peste ! Teste ! Mort ! J’ai
cru pâmer ! Mon cœur battait comme fol ! Une
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