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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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œillade ! Une
seule ! Et depuis, je ne la quitte plus ! Je la suis aux églises, au
promenoir, à la chapelle du Louvre, à messe ! Je n’oserais m’asseoir à
messe trop près d’elle, mais assez près pour la voir de profil ! Et avec
quelle élégante grâce elle tourne vers moi son cou délicat, me cherche de l’œil
dans la cohue des courtisans et me baille un sourire ! Un seul et me voilà
frémissant de la tête aux pieds ! Vous qui êtes un savant, diriez-vous que
ce souris rime avec paradis ? C’est ce que je ressens alors ! Et
comment l’exprimerais-je, Comte, sinon en vous disant que je suis le plus
heureux des humains, car j’ai la plus belle maîtresse du royaume ?
    — Votre maîtresse, Marquis ? dis-je les sourcils
levés. Seriez-vous déjà si avant en ses douces faveurs ?
    — Nenni ! Nenni ! Comte ! Qu’allez-vous
penser ? Je prends « maîtresse » dans le sens de L’Astrée. La
duchesse de Chevreuse ne m’a encore rien baillé, pas même un baiser. Savez-vous
pas qu’il faut à ces hautes dames une cour dans les règles ? Tête
bleue ! Une duchesse n’est pas une chambrière que l’on trousse et qu’on
pousse sur le lit qu’elle est en train de faire ! Plus une dame est haute
et plus elle se doit de faire sa renchérie et sa pimpésouée.
    Je l’écoutais, béant, et sentis toute l’inutilité de lui
remontrer que la duchesse, sans lui rien donner, et en aiguisant seulement son
appétit pour elle, allait le retourner comme un gant et le faire rentrer dans
le parti qu’il venait de trahir pour son roi. Ha ! Lecteur ! Si tu
crois qu’un écervelé, parce qu’il n’est capable d’aucun bien, est aussi
incapable de faire mal, grande est ton erreur !
    La Chevreuse lui avait donné le bel œil et tout était
fini ! La fidélité à Louis, alors qu’il appartenait comme moi à la Maison
du roi comme grand maître de sa garde-robe ! la loyauté envers le cardinal
qui lui avait promis, en sus, par mon canal, la charge de grand maître de la
cavalerie légère s’il pressait Monsieur d’épouser Mademoiselle de
Montpensier ! Qu’allait-il dire maintenant à Monsieur qui ne serait inspiré
par sa séductrice ?
    M’ayant ainsi fait ses confidences et toujours affairé sans
avoir rien à faire, Chalais me quitta tout soudain en coup de vent et dès que
j’eus clos l’huis sur lui, le pensement assez effrayant me vint à l’esprit que
l’infernale Chevreuse pouvait tout aussi bien lui mettre par degrés dans
l’esprit l’idée de tuer le roi. Monsieur, alors, succédait à son frère et
épousait la reine, ce que la reine, semblait-il, avait tacitement accepté. Or,
appartenant à la Maison du roi, ayant accès à toute heure, tous les jours, à
ses appartements, approchant la personne royale aussi près et même plus près
que moi, puisqu’il avait la charge de sa garde-robe, Chalais avait toutes les
occasions du monde de daguer le roi à l’improviste.
    Je ne faillis pas à avertir le roi, dès que je le pus, des
dangereuses amours du petit marquis. Louis, qui connaissait bien la Chevreuse
et en pensait le plus grand mal, prit la chose très au sérieux et me recommanda
de garder sur Chalais, de jour comme de nuit, un œil vigilant. Ainsi fis-je.
Louis, de son côté, redoubla de méfiance et je ne laissai pas d’observer qu’à
partir de cette date, quand Chalais se trouvait dans ses appartements, le roi
manœuvrait pour qu’il ne s’approchât pas de lui, tandis que, de mon côté, je
serrais Chalais d’aussi près qu’il était décent, guettant ses moindres gestes.
    La nuit, il m’était encore plus facile de le surveiller. Sa
chambre et la mienne, à l’origine, n’en faisaient qu’une et, pour gagner de la
place, on les avait partagées en deux par une simple cloison en bois de chêne.
Tant est que je pouvais ouïr sans même prêter l’oreille la noise qui provenait
du logis de Chalais, y compris la noise amoureuse qui occupait beaucoup de son
temps. Il recevait aussi beaucoup d’amis dont le plus intime était le comte de
Louvigny. Je le croisais si souvent comme il entrait chez Chalais quand
j’entrais moi-même chez moi que nous en vînmes à nous saluer. Et je
reconnaissais bien sa voix, quand il était avec Chalais pour ce qu’elle était
haute et perchée, et répondait bien à son physique. Je n’avais pas le moins du
monde à prêter l’oreille quand ils étaient au bec à bec car cette amitié-là
dégénérait

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