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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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souvent en querelles violentes, Louvigny soupçonnant Chalais de lui
vouloir rober sa maîtresse. Tant est que les bruyants embrassements du début se
terminaient souvent par des menaces réciproques de tirer l’épée et de
s’entre-tuer. Cependant, je doutais qu’ils en vinssent un jour aux mains,
Monsieur de Louvigny étant petit, estéquit et souffreteux et Monsieur de Chalais
si vigoureux et si bon bretteur.
    Le roi, à Blois, se couchait tôt, qui-cy seul, qui-là avec
la reine, tant est qu’il n’était pas rare qu’à dix heures du soir, je me pusse
retirer, gagner ma chambre et me désennuyer du vide de la vie de cour en
relisant Montaigne à la chandelle, étendu sur ma couche, mes deux oreillers
soutenant ma tête. C’est dans cette position qu’un soir, sur le coup de onze
heures, heure à laquelle peu nombreux étaient ceux qui se promenaient encore
dans le château, j’entendis mon voisin déclore et reclore son huis. Le devoir
et la curiosité tout ensemble me poussant, dès qu’il fut passé devant ma porte,
j’y courus à pas de loup, l’entrebâillai doucement et je vis Chalais de dos,
une lanterne à la main, s’éloigner mais sans aller bien loin, puisqu’il entra
dans les appartements de Monsieur, lesquels, comme j’ai dit déjà, jouxtaient ma
chambre. Je résolus alors d’attendre le temps qu’il faudrait pour l’ouïr
ressortir de chez Monsieur et regagner son gîte.
    Ce fut là une plus dure épreuve que je n’avais imaginé, car
même l’esprit judicieux de Montaigne ne put me retenir par moments de laisser
tomber ma tête sur ma poitrine et de m’ensommeiller. À la parfin, mon oreille,
étant demeurée dans ma langueur même attentive, j’ouïs la porte de Chalais se
déclore et se reclore dans la chambre voisine. Je regardai alors ma
montre-horloge à la lueur faiblissante des chandelles plus qu’aux trois quarts
consumées, et je vis qu’il était une heure du matin. Mais si grand était encore
le vague dans ma cervelle embrumée qu’il me fallut quelque effort pour faire le
calcul et pour entendre que Chalais était resté deux heures chez Monsieur.
    Le lendemain, en réfléchissant aux événements de la veille,
je m’étonnai d’avoir vu Monsieur de Chalais porter lui-même sa lanterne en se
rendant chez Monsieur. Telle eût dû être, m’apensai-je, la tâche de Monsieur de
Louvière, son écuyer. À moins, évidemment, que Chalais eût voulu lui cacher ses
visites nocturnes à Monsieur. Ma curiosité étant piquée et sortant quelque peu
de ma réserve, je ne manquai pas, quand je revis Chalais ce matin-là, de quérir
de lui, du ton le plus détaché :
    — Que devient Monsieur de Louvière ? Je ne le vois
plus dans vos alentours. Lui avez-vous baillé son congé ?
    Quel ne fut pas mon étonnement alors de voir l’effet que
cette question anodine produisit sur Monsieur de Chalais ! Il se troubla,
resta sans voix et rougit comme un enfant, qu’il était encore, ayant été en ses
jeunes années excessivement admiré, aimé, mignoté et ococoulé par sa mère. Et
ne sachant que dire, tant il était désarçonné et pris sans vert, incapable au
surplus d’inventer ex abrupto un prétexte plausible, il me dit ce qui se
révéla plus tard être la vérité et que je tins pour telle dès qu’il me l’eut
dite :
    — J’ai envoyé Louvière en mission en province.
    Je me gardai bien de lui demander de quelle mission il
s’agissait ; je l’aurais induit en méfiance, et passant prestement à un
sujet plus léger, je lui demandai des nouvelles de ses amours. Las ! il
fut aussi intarissable que la veille dans les hyperboliques éloges qu’il fit de
la magicienne qui l’avait envoûté. Il était tout à fait clair qu’il s’était
livré à elle poings et pieds liés, qu’il ne voyait plus que par ses yeux, qu’il
n’entendait plus que sa voix et qu’il lui obéissait en tout. Cet engouement
aveugle chez un homme d’aussi peu de cervelle me donna de nouveau les plus
grandes inquiétudes. Je m’en ouvris au roi dès que je pus. Et sur l’ordre qu’il
me donna de poursuivre ma surveillance de Chalais, je la continuai trois nuits
de suite et pus confirmer que, chaque soir, vers onze heures, le marquis allait
visiter Monsieur en ses appartements et demeurait deux bonnes heures en sa
compagnie.
    Comme j’en informai Louis, le cardinal, arrivé la veille au
soir de Limours, survint. Et quoique fatigué de son long voyage, il me parut
fort

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