Le Lys Et La Pourpre
place,
qu’avez-vous observé ?
— De prime, Monsieur le Comte, le roi.
— Et comment vous est-il apparu ?
— Impassible. Taciturne. Il n’a parlé qu’à vous.
— Mais de vous-même, Nicolas.
— Dois-je m’en inquiéter ? dit Nicolas avec
l’ombre d’un sourire.
— Nullement. Louis XIII n’est pas Henri III.
Poursuivez !
— Dès que Monsieur de Chalais est apparu, vous l’avez
serré de près.
— Amicalement ?
— Il se pourrait que non.
— Poursuivez, de grâce !
— Le docteur Héroard, quand vous êtes passé à côté de
lui, a dressé l’index et le majeur de la main droite.
— Qu’en pensez-vous ?
— Que c’est une sorte de langage.
— Voulez-vous en savoir le sens ?
— Monsieur le Comte, je ne veux pas mettre le nez dans
vos secrets.
— Il n’y a pas de secret. Les deux doigts dressés
veulent dire qu’hier le roi a couché chez la reine et lui a fait deux fois
l’amour. La chambrière qui ne quitte pas la reine, même la nuit, l’a dit tout à
fait légitimement ce matin à Héroard, puis est allée le répéter à la
reine-mère, et la reine elle-même l’a confié à la Chevreuse. Deux heures plus
tard, toute la Cour l’a su. La vie privée d’un roi, mon cher Nicolas, ne peut
être que publique, puisqu’il s’agit de l’avenir de la dynastie.
Je m’apensai en mon for intérieur – mais du diantre si
je ne me serais pas alors coupé la langue plutôt que de le dire ! –
que le roi montrait quelque courage à remplir son devoir dynastique avec une
épouse qui était à l’origine de l’effroyable conspiration qui menaçait
d’ébranler son trône. Hélas, cet effort fut vain, non dans ses effets
immédiats, mais dans son lointain aboutissement. J’ai noté sur mes tablettes ce
que me disait Héroard et ainsi peux-je affirmer, sans craindre d’être démenti,
que Louis passa la nuit chez la reine les cinq, douze, vingt et un et
vingt-quatre juillet, non sans obtenir un résultat qui dément les fables
odieuses de libellistes sur la « stérilité » du roi. Au cours de
l’été, la reine annonça qu’elle était grosse. Mais sa joie et l’espoir de Louis
furent de courte durée : en automne, pour la troisième fois, la pauvrette
perdit son fruit.
Mais revenons à nos moutons, en compagnie de cet
émerveillable Nicolas qui répondait avec tant de finesse et de retenue à mes
questions. Cette matinée de juillet en le château ducal de Nantes était
ensoleillée et chaude, mais non étouffante. Par ma fenêtre grand ouverte, une
bonne brise venait de l’ouest et je me serais senti suffisamment heureux sans
les inquiétudes que me donnait la cabale. Comme l’avait discerné le cardinal,
il était bien vrai que l’arrestation des Vendôme avait refroidi l’agitation des
Grands mais, à mon sentiment, plus s’éloignait la menace d’une rébellion
générale, plus celle d’un régicide – commis en désespoir de cause – se
rapprochait dangereusement de nous.
J’étais, comme disait le commandeur, dans « ces peines
et ces inquiétudes », et depuis un moment fort silencieux – sans que
Nicolas, la Dieu merci, pipât mot – quand on toqua à ma porte. Je fus
debout en un battement de cils et encore que je sentisse bien que cette
prudence n’était que de routine, je saisis sous mon oreiller mes deux pistolets
et, regagnant ma chaire à bras, je les cachai derrière mon dos, demandant à
voix basse à Nicolas de n’ouvrir point, mais de demander au quidam son nom à
travers l’huis.
— Je suis, dit la voix du visiteur, Monsieur de
Lautour, écuyer de Monsieur de Louvigny et j’apporte un billet de sa main à
Monsieur le comte d’Orbieu.
— Nicolas, dis-je sotto voce, ouvrez, mais en
rabattant la porte sur vous.
Nicolas tira le verrou, ouvrit et l’écuyer de Monsieur de
Lautour apparut, n’osant entrer tant cet accueil l’avait intimidé.
— Entrez, Monsieur de Lautour, dis-je, l’ayant reconnu
et une fois encore m’étonnant que Louvigny, qui était si fluet, ait eu l’idée
de choisir un écuyer de taille géantine.
— Monsieur le Comte, dit Lautour, après un profond
salut qui courba en deux son grand corps, voici un billet de mon maître, le
comte de Louvigny, lequel m’a commandé d’attendre votre réponse.
Le billet était soigneusement fermé avec un cachet de cire
et je le fis sauter. Voici sa teneur :
« Comte, je vous serais
infiniment obligé si vous
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