Le Lys Et La Pourpre
qu’il fût là. Un seul félin suffisait. Et
celui qui se trouvait présent avait l’air tout aussi doux et patient que
l’absent et il n’était pas dénué non plus de ces grandes réserves de force qui
rendent cette espèce si redoutable à ses ennemis.
Il y avait à l’accoutumée deux chandeliers sur la table de
travail du cardinal. Deux autres, cette nuit-là, ornaient le cabinet, une sur
la petite table de Charpentier, et l’autre placée sur un petit guéridon à la
droite de Monsieur de Louvigny, tant est que le comte se trouvait éclairé à
dextre par celle que je viens de dire et à senestre par les bougies de
Charpentier et offrait ainsi à l’œil bienveillant, mais scrutateur du cardinal,
un visage bien éclairé. Les quatre chandeliers, plaise au lecteur de me
permettre de le rappeler en passant, étaient garnis, non de chandelles, mais de
bougies parfumées, Richelieu étant un prélat qui n’abhorrait pas le luxe.
J’étais moi-même assis à gauche de Richelieu, entre le
guéridon de Louvigny et la table du cardinal et à droite, symétriquement,
siégeait Monsieur de Schomberg, à qui sa fidélité adamantine au roi et au
cardinal avait valu cette invitation, alors qu’on se serait plutôt attendu à
voir là le garde des sceaux, Marillac. Mais, à mon sentiment, Monsieur de
Marillac commençait déjà à donner quelque souci à Richelieu par ses talents,
ses vertus et son ambition.
Les yeux bleus de Schomberg, son teint rose et sa membrature
carrée faisaient contraste avec le visage brun et crispé de Louvigny, ses yeux
noirs brillants profondément enfoncés dans l’orbite, sa poitrine creuse et son
corps estéquit.
Une absence m’étonna sans vraiment m’alarmer : celle du
roi. À la réflexion, je me tins pour assuré que Louis avait choisi de ne pas
être présent, car il était tout à fait exclu que Richelieu ne l’eût pas averti
de cette réunion, tant le cardinal redoutait les soupçons et les ombrages de Sa
Majesté. Le roi désirait en effet être au courant de tout, mais laissait à son
ministre le soin de recueillir les faits qui étaient nécessaires à ses
décisions.
— Monsieur de Louvigny, dit le cardinal quand on en eut
fini avec les salutations, vous êtes céans sur votre demande à nous transmise
par le comte d’Orbieu. Acceptez-vous que le comte d’Orbieu et le maréchal de
Schomberg soient témoins de notre entretien et que Monsieur Charpentier en
prenne note ?
— Je l’accepte, Monseigneur, dit Louvigny.
— Êtes-vous prêt à jurer sur l’honneur que votre
information sera en toutes ses parties véridique ?
— Je le jure.
— Acceptez-vous que je fasse de cette information tout
usage qui soit pertinent au service et aux sûretés de Sa Majesté ?
— Je l’accepte, Monseigneur, dit Louvigny qui répondit
avec tant de promptitude à ces questions qu’il me sembla évident qu’il les
avait prévues.
Et je tiens pour bien assuré que Richelieu eut le même
sentiment que moi, car son visage, jusque-là un peu fermé, s’éclaira.
— Monsieur de Louvigny, reprit le cardinal sur le ton
le plus aimable, je suis fort content que vous ayez acquiescé à mes demandes et
vous en sais d’autant plus gré que cet acquiescement vous met en grand péril
d’être un jour persécuté par vos amis.
— Monseigneur, les personnes que vous désignez ainsi,
dit Louvigny avec quelque véhémence, ne sont pas mes amis. Je n’ai jamais
ressenti le moindre penchant pour le parti de l’aversion au mariage de
Monsieur. Ce mariage est une affaire de famille qui ne regarde que le roi, la
reine-mère et Monsieur. C’est le fait, à mon sentiment, d’une absurde
indiscrétion de la part d’un sujet du roi que de vouloir y fourrer son nez.
— J’aurais dû dire non pas « vos » mais
« votre » ami.
— Éminence, dit Louvigny avec feu, si par « votre
ami », vous désignez Monsieur de Chalais, il n’est plus mon ami. Il a
trahi ma confiance comme il a trahi celle du roi.
— Et comment a-t-il trahi celle du roi ? reprit
Richelieu aussitôt.
— En engageant Monsieur à s’enfuir de la Cour et à
prendre la tête de la rébellion.
— Mais cela, Monsieur de Louvigny, dit le cardinal
d’une voix douce, nous le savons déjà. À preuve, les compagnies de
chevau-légers que le roi a dépêchées sur toutes les routes qui partent de
Nantes pour faire échec à cette fuite. Si la trahison de Monsieur de Chalais se
borne aux
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