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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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passées ainsi, ce fut le fait, avéré par Héroard qui en
tenait registre, que le roi (à partir du dix-huit août, jour de sa grande
colère, jusqu’au vingt-quatre septembre, c’est-à-dire pendant un mois et demi),
non seulement n’alla pas coucher chez la reine, mais s’abstint même, pour la
première fois de sa vie, de lui faire ces courtes visites quotidiennes que le
protocole lui imposait. Preuve, à mon sentiment, qu’il était profondément
chagrin et indigné que son épouse et son frère eussent à tout le moins spéculé
sur sa mort.
    Pour Louis ce n’était pas, hélas, la première expérience des
trahisons familiales, puisqu’il avait dû subir de sa mère d’innumérables
humiliations du temps où elle était régente, sans compter que dans la suite,
elle avait pris deux fois les armes contre lui et qu’il avait dû lever des
troupes pour la ramener à résipiscence. Au rang des traîtres, il devait meshui
ranger sa femme et son frère. Il en conçut contre lui, et plus encore contre
elle, un profond ressentiment.
    Le roi, outre qu’il n’avait pas perdu tout espoir d’assurer
avec Anne l’avenir de sa dynastie, ne pouvait lui faire un procès sans la
répudier, et répudier sa femme légitime épousée devant Dieu eût amené de très
déplaisants chamaillis, non seulement avec le pape, mais avec le roi d’Espagne
dont l’orgueil castillan n’eût pas facilement supporté cette écorne faite à sa
famille.
    De toutes façons, une répudiation répugnait fort à un homme
aussi pieux que Louis. Mais il désira à tout le moins donner une leçon à son
épouse et la cita à comparaître devant le Conseil des affaires.
    Et là, assise au cours d’une épuisante séance, sur une
chaire à bras [62] , la malheureuse dut subir la
longuissime lecture du procès de Chalais, et en particulier les pièces où elle
était incriminée. Madame de Motteville, alors fille et âgée de vingt et un ans,
prétend que la reine, questionnée sur l’intention qu’on lui prêtait d’épouser
son beau-frère après la mort du roi, répondit avec quelque hauteur :
« J’aurais trop peu gagné au change ! »
    Je n’étais pas présent à cette séance-là, mais je ne laisse
pas toutefois de décroire ces paroles et n’y voir qu’un cancan de cour que
Madame de Motteville a ouï avant de partir elle-même avec sa mère pour l’exil
comme la plupart des favorites qui entouraient alors la reine.
    En fait, je tiens pour très assuré qu’Anne n’eut pas
l’occasion de prononcer cette fière réplique car, en cette circonstance, elle
ne fut en aucune façon interrogée, pour la raison que la moindre question eût
transformé aussitôt en procès sa passive comparution.
    En fait, la modération, se peut conseillée par le cardinal,
finit par prévaloir dans l’esprit du roi, et à la fin de cette séance, si
pénible pour la malheureuse, le roi ordonna de retirer du procès Chalais toutes
les pièces la concernant.
    C’était lui signifier qu’il savait tout et qu’il lui
pardonnait, sans cependant oublier tout à fait la trahison dont, avec une
incroyable légèreté, elle s’était rendue coupable à son endroit en mettant en
branle cette funeste intrigue.
    En 1626, Louis avait encore dix-sept ans à vivre. Et pendant
tout ce temps, Anne n’ignora pas le tenace et profond chagrin qu’il nourrissait
et les doutes rongeants et torturants qu’il ne cessera de nourrir à son sujet
jusqu’à la fin de sa vie.
    En 1643, comme Louis gisait mourant sur sa couche,
« suant », comme dit Villon, « Dieu sait quelles sueurs »,
la reine, dans un élan de bonté, désira apporter quelque soulagement, sinon à
sa douleur physique, du moins aux souffrances morales dont elle était la cause.
Elle lui écrivit un billet où elle affirmait avec force qu’elle n’avait jamais
aspiré à sa mort pour épouser Monsieur.
    J’étais là quand La Porte apporta ce message de la reine. Le
roi, qui avait encore quelque force, voulut lire lui-même le billet, et l’ayant
lu, le laissa tomber de ses mains, et dit avec une amertume qui me poigna le
cœur : « Dans l’état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne
suis pas obligé de la croire. »
     
    *
    * *
     
    — Monsieur, je ne le vous cèlerai pas plus longtemps.
Je vous veux mal de mort.
    — À moi, belle lectrice ? Tête bleue ! Que
voilà une rugissante préface à l’entretien que vous me demandez ! Que vous
ai-je

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