Le Lys Et La Pourpre
discipline des mousquetaires, telle
qu’elle avait été voulue par le roi, était si sévère, pour ne pas dire si terrible
(la peine de mort étant appliquée dès la troisième faute grave) qu’elle eût
découragé les duellistes les plus enragés. Tirer l’épée contre un frère
d’armes, c’eût été aller porter de soi sa tête sur le billot. Aucun jugement
n’était nécessaire. Un ordre du capitaine suffisait.
De reste, les mousquetaires du roi, cavaliers issus des plus
nobles familles de France, n’eussent jamais, au grand jamais, croisé le fer
avec les mousquetaires à pied du cardinal dont le recrutement n’était point
aussi relevé. Il est vrai que les gardes à cheval du cardinal, eux, étaient
nobles. Mais leur noblesse ne les haussait pas si haut que celle des
mousquetaires du roi. Tant est que le fils d’un gentilhomme du plat pays ne fut
jamais, pour le fils d’un duc, un adversaire qu’il eût pu accepter sans
déchoir.
Je ne pus m’arrêter à Orbieu comme je l’avais envisagé, car
le cardinal me voulait présent à l’Assemblée des notables que le roi et
lui-même avaient décidé de réunir en Paris pour approuver, et les décisions
qu’il avait prises (notamment celles concernant la marine) et celles qu’il
avait le projet de prendre. Sans doute eût-on pu demander cette approbation au
Parlement, mais il l’aurait à coup sûr refusée, étant routinier au point d’être
hostile à toute nouveauté, fût-elle des plus utiles au royaume. Il est vrai que
le roi pouvait passer outre à cette opposition en adressant au Parlement une
lettre de jussion, mais il en fallait trois successivement pour le faire
capituler, ce qui eût fait perdre beaucoup de temps, surtout si on avait agi de
même avec les parlements de province. Et cela à un moment où le cardinal
poursuivait fiévreusement la reconstruction d’une marine pour faire échec aux
Rochelais et aux Anglais.
Cette Assemblée de notables s’ouvrit dans la grande salle
des Tuileries le deux décembre 1626 et fut dissoute le vingt-quatre février
1627. Deux ou trois jours après sa terminaison, je reçus en mon appartement du
Louvre la visite du chanoine Fogacer, l’éminence grise du nonce apostolique.
J’ose à peine céans parler d’éminence grise pour la raison que ce terme
s’applique d’ordinaire au père Joseph, agent secret de Richelieu, personnage
vivant en pauvreté capucine, une vie érémitique. Mon Fogacer, lui, n’avait que
faire de ce Spartiate dénuement, étant chaussé non de sandales à toutes boues,
mais de bonnes et closes bottes et portant sur ses larges épaules en hiver, en
lieu d’une mince bure, une hongreline fourrée.
— Monsieur le Comte, dit-il en s’asseyant devant un
gobelet que Nicolas emplissait de mon vin de Bourgogne, je sais peu de choses
sur cette Assemblée de notables qui vient de se terminer et j’aimerais que vous
m’apportiez là-dessus quelques lumières, puisqu’aussi bien vous en fîtes
partie. Grand merci, Nicolas, poursuivit-il, en jetant à mon écuyer un regard vif
et pas plutôt lancé que repris, ce qui me donna à penser que la bougrerie de
Fogacer était contrainte, mais non éteinte.
Mon père aurait dit à ce sujet que le désir de l’autre,
qu’il soit masculin ou féminin, est la dernière chose qui nous quitte en cette
vie.
— Mon ami, dis-je, je suis prêt à vous apporter toutes
les lumières du monde ; si du moins ce sont bien celles-là que vous
cherchez. L’Assemblée des notables comprend tous les membres du Conseil des affaires
(dont je suis, ajoutai-je avec un petit salut), plus un certain nombre de
personnes désignées par le roi : à savoir, dix nobles nantis de hautes
charges dans l’armée, vingt-huit officiers royaux et douze ecclésiastiques.
Tous ces notables furent choisis en raison de leur fidélité, de leur zèle et de
leur dévotion envers le souverain : sage précaution, vu qu’en toute
probabilité, ils n’allaient pas chagriner Sa Majesté en rejetant ses
propositions…
— Je sais cela, dit Fogacer.
— Alors, c’est que sans doute vous voudriez savoir les
propositions que les notables acceptèrent. Les voici : suppression de la
Connétablie, suppression de la charge d’Amiral de France, démolition des
forteresses jugées inutiles, suppression des garnisons qui les défendent, amputation
des pensions versées par le roi.
— Je sais cela, dit Fogacer.
— Bref, nous allons faire ce que vous et
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