Le Lys Et La Pourpre
fait, j’enrage de voir autour de
moi ces coquardeaux de cour se pavaner autour de moi, le cheveu frisotté, les
mains baguées, la face pulvérisée de parfum, et ne rien faire de tout le jour
que de babiller entre eux ou avec les dames et ne se souvenir qu’ils sont des
hommes que pour couper la gorge de leur meilleur ami sur une querelle de néant.
Et au nom de quoi ? De je ne sais quel stupide point d’honneur, comme s’il
pouvait y avoir de la gloire à s’entre-tuer entre chrétiens ! Et encore s’ils
se battaient seuls à seuls, mais il leur faut des témoins ! Deux chacun et
qui se battent aussi sans se connaître et sans grief aucun l’un contre
l’autre ! Tant est qu’il faut être six au moins pour que la tuerie soit
honorable et laisser trois ou quatre hommes sur le pré, morts ou blessés à
mort, et cela de janvier à décembre ! Quelle hécatombe ! Quelle perte
pour ma noblesse et mes armées que ce saignement continuel ! Et comme il
affaiblit l’État ! Vos dignes frères, Siorac, ne se battent, eux, que
contre les tempêtes des océans et contre les pirates ! Ils exercent avec
vaillance un métier d’homme dur et périlleux, utile au royaume, utile à
eux-mêmes ! Et ils sont, pour tous ceux qui se targuent d’être de bonne
maison, un exemple et un modèle…
Je m’apensai, en écoutant ces paroles, que c’était là un
long discours pour un homme aussi taciturne. Et j’en conclus alors que
l’éloquence du cardinal déteignait sur Louis. Mais je m’avisai un peu plus tard
que ce n’était pas tout à fait vrai. Car l’éloquence du cardinal était latine
et savante, organisée en parties bien distinctes, exposant souvent deux thèses
opposées et en tirant une conclusion mesurée et pesée dans de fines balances.
L’éloquence, chez Louis, était une explosion violente, née d’une indignation
contenue qui soudain ne se pouvait réprimer davantage. Je l’ai ouï éclater en
sarcasmes devant les parlementaires dont l’arrogance l’avait offensé et, mieux
encore, s’adresser aux évêques en termes déprisants. Chose curieuse, je
retrouvai alors chez lui, en éclairs soudains, cette verve savoureuse et
populaire qui était si caractéristique d’Henri IV quand il s’emportait.
Le cardinal, estimant qu’il n’avait plus rien à faire à
Nantes, demanda son congé à Louis afin de pouvoir retourner en Paris où
l’attendaient de nouvelles affaires. Le roi le lui donna et me le bailla
ensuite à moi-même car j’avais été si longtemps tenu éloigné de mon domaine
d’Orbieu que le cœur me doulait.
Je me préparai donc avec Nicolas à me joindre à la suite de
Richelieu quand il apprit, quasi la veille de son département, qu’une embûche
l’attendait sur le chemin qui menait à Paris. « Après tout, dit-il sans
battre un cil, ce n’est que la troisième fois qu’on essaye de
m’assassiner. » Et encore qu’il détestât être gardé, car c’était, disait-il,
perdre toute liberté, le roi lui imposa une escorte de cinquante mousquetaires
à cheval et de trente gentilshommes dont je fus et dont je reçus le
commandement.
Louis redoutait tant de perdre le cardinal qu’il fut, me
dit-on, quasi dans les larmes de le voir départir et, d’après ce que j’ouïs,
envoya un courrier rapide à l’évêque du Mans pour qu’à son passage il adjoignît
encore une vingtaine de gentilshommes à son escorte.
Sauf quelques heures où Richelieu me voulut dans son
carrosse pour me parler de sa marine, je fus la plupart du temps à cheval et le
soir à l’étape, je ne manquai pas d’avoir les jambes roides et le fessier
moulu.
Nicolas pâtit encore davantage de ces incommodités et je lui
conseillai de tremper longuement dans l’eau froide les parties endolories, ce
qu’il fit à chaque étape et il s’en trouva content. J’observai qu’il exigeait
la présence d’une chambrière pour prendre ce bain. Ce qui m’amena à penser
qu’il voulait compenser la froidure de son corps par le réchauffement d’une
présence féminine.
Cette escorte du cardinal fut le noyau de la garde
personnelle que Louis imposa à Richelieu dans les mois qui suivirent, laquelle
fut recrutée et payée par le cardinal lui-même et qui comportait des
mousquetaires à pied et des gardes à cheval. Il y eut entre ces deux corps et
ceux du roi une certaine rivalité, mais il serait bien insensé d’imaginer qu’il
y eût de l’un à l’autre des duels. La
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