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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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moi appelons
des économies, mais que nos ministres appellent avec tact
« retranchements ». Fut décidé ensuite le rachat du domaine royal
fort sottement aliéné du temps de la régente (mais par décence on ne prononça
pas le nom de la régente, présente en cette assemblée à la dextre du roi).
    — Je sais cela, dit Fogacer.
    — Vous savez aussi cela, mon cher chanoine ?
Dois-je faire à mon tour des « retranchements » dans mon récit ?
    — Mais pas du tout ! Poursuivez, de grâce !
    — Les notables approuvèrent aussi la construction de
quarante-cinq vaisseaux pour une somme de un million deux cent mille livres,
ainsi que la fondation de nouvelles compagnies pour notre commerce d’outre-mer.
    — Je sais cela, dit Fogacer.
    — Eh bien, dis-je, envisageant le chanoine avec des
yeux innocents, je crois bien que c’est tout.
    — Monsieur le Comte, vous vous gaussez de moi, dit
Fogacer avec un petit brillement de l’œil qui n’était pas des plus suaves. Vous
oubliez la définition nouvelle des crimes de lèse-majesté.
    — C’est bien vrai, cela ! m’écriai-je. Mais
puisque vous savez tout, je me demande bien quelle lumière nouvelle vous
attendez de moi.
    — Poursuivez, de grâce, Monsieur le Comte, nous verrons
bien.
    — Cette définition des crimes de lèse-majesté n’est pas
vraiment nouvelle, mais elle fut complétée sur certains points avec un esprit
de méthode et de minutie qui me paraît trahir la main du cardinal ou peut-être
devrais-je dire sa pensée.
    — C’est bien ce que nous croyons, dit Fogacer, pour qui
ce « nous » n’était pas, à coup sûr, un « nous » de
majesté.
    — Voici donc, mon cher chanoine, les actes qui sont
considérés comme entraînant le crime de lèse-majesté. Désirez-vous que je les
énumère ?
    — Je le désire, en effet.
    — La levée de soldats sans autorisation, l’achat
d’armes à feu et de poudre, les fortifications de villes ou de châteaux, la
tenue d’assemblées secrètes, la publication de pamphlets politiques. C’est
tout, je crois.
    — Vous en oubliez un !
    — Mais c’est vrai ! dis-je, de l’air le plus
ingénu. (Et dans ces cas-là, avoir les yeux bleus est une grande ressource.)
Mais, permettez que je me corrige : voici donc l’ultime crime de
lèse-majesté, le dernier, mais non le moindre : le fait de s’aboucher avec
une puissance étrangère ou avec l’ambassadeur en Paris de cette puissance.
    — Sur ce point-là, précisément, dit Fogacer avec
quelque gravité, il y eut, à ce que j’ouïs, quelque dispute en l’assemblée.
    — Mon cher chanoine, dis-je, vous êtes si bien informé
de tout qu’il me semble que mes lumières ne vous sont pas utiles.
    — Si fait. Sur cette contestation, je ne sais pas tout.
Loin de là.
    — Eh bien voici, moi, ce que j’en sais. D’aucuns dans
l’assemblée, mais à vrai dire, ce fut le plus grand nombre, considérèrent que
le pape était un prince dans le siècle, ayant un État, des ministres, une
police, une armée et une politique étrangère, et que le nonce était, par
conséquent, l’ambassadeur d’un pays étranger. En conséquence, la définition du
« crime de lèse-majesté » s’appliquait à tous ceux qui, en Paris,
s’abouchaient avec lui. Mais d’aucuns dans l’assemblée poussèrent alors des
cris. Le nonce, dirent-ils, était l’envoyé du pape et le pape était le chef de
tous les catholiques et, qui plus est, notre père à tous !
    — L’évidence même, dit Fogacer sans battre un cil.
    — Mais cette évidence ne fut guère défendue que par les
douze ecclésiastiques dans l’assemblée. Toutefois, à eux douze, ils firent
alors une si grande noise qu’on eût dit qu’ils étaient le double ou même le
triple de ce qu’ils étaient. Pour finir, ils quittèrent la salle la crête
haute, dans un grand froissement de soutanes, boudèrent les séances ultérieures
et s’allèrent plaindre enfin au nonce. Et maintenant, mon cher Fogacer, ne me
dites pas que vous ne savez pas que le nonce protesta auprès de Sa Majesté et
menaça même de quitter la France. À telle enseigne que le roi et le cardinal
exercèrent alors une pression sur l’assemblée, telle et si forte, qu’elle
décida, à vrai dire à une faible majorité, que le nonce se serait pas considéré
comme l’ambassadeur d’un pays étranger… Et croyez-moi, mon cher chanoine, je me
réjouis fort pour vous de cette décision,

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