Le Lys Et La Pourpre
car elle vous permettra d’ores en
avant de vous aboucher avec le nonce sans risquer pour autant de porter votre
tête blanche et vénérable sur le billot.
— En êtes-vous sûr ? dit Fogacer. Après tout, la
décision de l’Assemblée des notables n’engage pas du tout le roi.
Eh ! Voilà donc, m’apensai-je en un éclair, voilà donc
où le bât le blesse !
— En effet, dis-je, mais c’est mal connaître Louis. Il
a montré qu’il était capable, comme vous le savez, d’aller battre les troupes
pontificales qui occupaient indûment les forts de la Valteline. Mais il
n’affrontera jamais le Saint-Siège en s’en prenant au nonce ou à l’un des
serviteurs du nonce. Tout au plus les fera-t-il discrètement surveiller.
— Car il les fait surveiller ? dit Fogacer.
— Je n’en sais rien et par conséquent n’en dirai mot ni
miette. Après tout, que fait un ambassadeur ? Il ouvre grand ses oreilles
et ses yeux afin d’informer son souverain. Il me semble donc fort probable que
le pays qui lui accorde une précautionneuse hospitalité trouve de son intérêt
de s’informer à son tour sur lui…
Le lecteur trouvera sans doute que, dans cette scène, je me
suis amusé à jouer au chat et à la souris avec le chanoine Fogacer. Mais c’est
là une impression qui ne me rend pas justice. Car même en concédant – sans
en croire un seul mot – que le nonce n’était pas l’ambassadeur d’un pays
étranger, le cardinal n’avait pas relâché d’un pouce la surveillance discrète
dont le nonce et ses familiers étaient l’objet. Je rendis donc un signalé
service à notre ami Fogacer en lui recommandant implicitement la plus extrême
prudence dans ses pas et démarches.
Dès le lendemain, et dès qu’il put me recevoir, je répétai
au cardinal cette conversation. Elle l’amusa quelque peu, puis, reprenant sa
gravité, il dit :
— Voilà un « crime de lèse-majesté » qui va
faire réfléchir beaucoup de gens ! En particulier ceux qui caressent un
peu trop l’ambassadeur d’Angleterre et l’ambassadeur d’Espagne. Quant à
Fogacer, il est trop fin et trop circonspect pour aller plus loin qu’il ne
devrait. Il a beaucoup d’esprit et le roi le tient, comme moi-même, pour un
« véritable Français ». Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’un jour
vienne où votre chanoine me pourra renseigner davantage qu’il n’informe le
nonce…
CHAPITRE XIII
Quand il me dit que mon « chanoine » le pourrait
un jour « renseigner davantage qu’il n’informait le nonce », il se
peut que Richelieu ait souhaité que son propos soit répété par mes soins à
Fogacer.
Toutefois, quand je dînai avec Fogacer trois jours plus
tard, dans l’hôtel de mon père, je demeurai là-dessus bec cousu, estimant que
ce rollet-là convenait mieux à un des agents du cardinal qu’à ma propre
personne. De toute manière, il me sembla que ce genre de démarche me mettrait
en délicate posture vis-à-vis de Fogacer, surtout après cet entretien en mon
appartement du Louvre où je lui avais quelque peu tabusté les mérangeoises sur
le sujet des crimes de lèse-majesté.
Dès que Mariette, ayant fini de servir, sortit
« emportant ses grandes oreilles avec elle », comme mon père aimait
dire, il ne fut plus question que de duels et en particulier de
Montmorency-Bouteville qui, confondant bravoure et bravade, venait de faire à
Sa Majesté, coup sur coup, deux inexcusables écornes.
Descendant d’une illustre famille, fier d’avoir, en vingt et
un duels, tué vingt et un gentilshommes, condamné en 1624 par le Parlement pour
avoir expédié le comte de Pontgibaut, Bouteville avait eu l’audace de briser de
ses mains, à Paris, la potence à laquelle était accroché le tableau qui
l’exécutait en effigie.
Récidivant trois ans plus tard en 1627, il se donna le plaisir
de tuer le comte de Torigny et, conscient d’avoir, par ce nouvel exploit,
outrepassé les bornes, il chercha refuge aux Pays-Bas à la cour de
l’archiduchesse qui, étant fille d’Henri II et la dernière Valois vivante,
accueillait les Français à sa cour avec faveur.
Sœur cadette de la reine Margot et bien différente d’elle
par ses mœurs et par son naturel, c’était une dame fort sur l’âge, douce et
bienveillante. Elle croyait, en sa grande piété, que le cœur humain le plus
endurci pouvait, avec un peu d’aide, s’ouvrir à l’amour des autres.
Elle avait fort à faire, en
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