Le Lys Et La Pourpre
l’occurrence, avec ce boutefeu
de Bouteville. Et d’autant que le marquis de Beuvron, ami du comte de Torigny,
et le voulant venger, avait suivi notre héros jusqu’à Bruxelles pour le défier.
L’archiduchesse, désolée à l’idée qu’on répandît le sang en ses États, demanda
à Spinola – l’illustre vainqueur de Breda – de recevoir les deux
bretteurs à souper pour les réconcilier : ce qu’ils promirent en sa
présence, mais, demeurés seuls, ils se délièrent aussitôt de leur serment et
convinrent, corbleu ! de se battre ! Mais où ?
Ils ne le pouvaient à Bruxelles, l’archiduchesse le leur
ayant défendu, et pendant qu’ils se demandaient désespérément où diantre ils
allaient bien pouvoir s’entre-tuer, la bonne princesse, confiante en les bonnes
assurances qu’ils avaient données à Spinola, en fit part, par lettre, au roi de
France et lui demanda, pour Bouteville, une lettre d’abolition, laquelle
pouvait seule le laver de ses vingt-deux assassinats.
Or, la dernière des Valois jouissait, auprès du second roi
Bourbon, d’une grande considération. Et ne pouvant ni refuser, ni accorder la
complète abolition que l’archiduchesse avait quise de lui, Louis permit à
Bouteville de revenir en France, mais il lui interdit de mettre le pied dedans
Paris et à la Cour.
À ouïr la nouvelle de cette restriction, Bouteville entra
dans ses fureurs. Peu lui challait Paris ! Mais la Cour était un théâtre
où, après chacun de ses victorieux duels, il était accoutumé à se pavaner en sa
gloire devant nos coquardeaux béants. C’était là aussi où notre guerrier se
reposait en galantisant celles de nos belles qui ne se trouvaient pas
insensibles à sa vaillante épée : « Puisqu’on a le front,
s’écria-t-il, de me refuser une pleine et complète abolition, j’irai me battre
incessamment à Paris et qui plus est, sur la Place royale ! »
Se battre dans la capitale dont Sa Majesté lui défendait
l’entrant, c’était déjà une hautaine désobéissance. Cependant, se battre au
Pré-aux-Clercs – là où les écoliers de Sorbonne vidaient leurs petites
querelles et bien souvent dans le sang, le guet fermant les yeux sur ces
polissonnades –, c’eût été moindre mal. Mais choisir la Place royale pour
désobéir au roi était une écorne des plus insolentes. Car la superbe place avec
ses arcades et ses belles maisons symétriques, construites en briques à
chaînages de pierre, était l’œuvre d’Henri IV. Et par piété filiale, Louis
poursuivait son achèvement avec beaucoup d’amour et de soin. C’était donc dans
ce haut lieu qui tenait tant à cœur à Sa Majesté, lieu en outre qui portait son
nom, qu’on allait lui faire cette braverie, tant il est vrai que chez les
Grands, la gloire et le point d’honneur commandaient trop souvent envers le roi
le défi et la rébellion.
Le mercredi douze mai 1627, à deux heures de l’après-dînée
sur la Place royale, ils sont six à se vouloir assassiner. Bouteville est
assisté de son intime ami Des Chapelles et de Monsieur de La Berthe. Beuvron a
pour témoin son écuyer, Monsieur de Buquet et Bussy d’Amboise.
Quand six épées sont en même temps dégainées, il va sans
dire que la mort ne peut qu’elle ne frappe. Par malheur, elle ne frappe pas là
où il aurait fallu, puisque la fortune hasardeuse des armes accable les témoins
qui n’ont aucune part à la querelle et qui ne sont là que par amitié. Monsieur
Bussy d’Amboise et Monsieur de La Berthe, tombent l’un mort, l’autre quasi
mourant, leur beau sang rouge tachant le pavé neuf de la Place royale. Au
ferraillement des lames d’acier succède un moment de stupeur et de silence. Le
duel n’a duré que deux minutes, juste le temps qu’il fallait pour que deux
jeunes hommes fussent rayés du nombre des vivants. On transporte les corps et
nos deux héros, rengainant, se mettent, chacun de son côté, à la fuite. Le
marquis de Beuvron et son écuyer Buquet tirent à brides avalées dans la
direction de Calais qu’ils atteignent sans débotter et là, sans encombre,
s’embarquent pour l’Angleterre et poussent un grand soupir quand ils
aperçoivent enfin dans la brume les falaises blanches de Douvres.
Bouteville, flanqué de son alter ego, le comte des
Chapelles, conduit sa fuite avec plus de nonchalance. C’est un grand
seigneur : il se croit à l’abri de tout. Il tâche de gagner la Lorraine,
mais commet l’erreur de
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