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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’arrêter en chemin à l’auberge de Vitry-en-Perthois où
les deux amis partagent le même lit. Par le plus grand des hasards et la plus
fortuite des coïncidences, ils sont reconnus, arrêtés, reconduits à Paris,
embastillés et jugés.
    Les bourgeois hautains du Parlement de Paris, impitoyables
pour les vices qui ne les tentent pas (et en effet, ils considèrent, non sans
raison, que le duel en est un, et le pire de tous), ne sont que trop contents
de les condamner à mort. Et à la vérité, les parlementaires montrent là une
grande constance en leurs opinions, car lorsque Louis, par son édit de février
1626, avait interdit les duels, le Parlement avait déjà opté pour la peine
capitale. Mais Louis qui, pas plus que le cardinal, ne voulait alors aller si
loin, avait dû lui envoyer des lettres de jussion pour le faire changer d’avis.
Et quelle revanche aujourd’hui, pour le Parlement, malicieuse à l’égard du roi,
cruelle pour Bouteville, que de condamner ce grand seigneur à porter sa tête
fière sur le billot !
    Mais revenons à ce dîner chez mon père où les langues se
délièrent dès que Mariette nous eut quittés.
    — La question, dit mon père, est de savoir si Louis va
faire grâce ou non. Ce n’est pas la première fois qu’un crime de ce genre
échappe au châtiment. Des édits contre le duel, celui de Louis XIII n’est
jamais que le troisième, le premier ayant été promulgué par Henri III et
le second par Henri IV en 1609. Ils sont restés lettre morte. Comme disait
avec chagrin mon vieil ami Pierre de L’Estoile, « en France, dès qu’une
ordonnance est bonne, elle n’est pas appliquée ».
    — Le cardinal, dis-je, a prononcé à l’Assemblée des
notables quelque chose d’approchant. Mais loin de se tourner vers le passé avec
chagrin, sa maxime envisageait l’avenir avec résolution. Voici ses
paroles : « Pour rétablir cet État en sa première splendeur, il n’est
pas besoin de beaucoup d’ordonnances, mais bien de réelles exécutions. »
    — Mon cher Chanoine, dit La Surie, que dit l’Église sur
le duel ?
    Avant que de lui répondre, Fogacer l’envisagea de son œil
noisette en relevant ses sourcils vers les tempes. Mais au lieu que ce tic, en
ses années plus vertes, lui donnait un air quelque peu diabolique, maintenant
que ses sourcils n’étaient plus noirs de jais, mais blancs comme neige, il lui
conférait, bien au rebours, un air de réflexion et de sagesse qui convenait à
son état.
    — Chevalier, dit-il, l’Église le condamne absolument.
Pour elle, le duel est à la fois homicide et suicide. Il est donc deux fois
peccamineux.
    — Toutefois, dit La Surie, lançant sa botte, je n’ai jamais
ouï que les évêques aient excommunié pour mort d’homme un duelliste.
    — Ils auraient fort à faire, dit Fogacer sans
s’émouvoir. J’ai ouï dire qu’en ce royaume, il y avait plusieurs centaines de
duels par an…
    Mon père lança à La Surie un œil réprobateur. Il n’aimait
pas que Miroul, converti des plus tièdes, fît de petites gausseries sur
l’Église catholique, fut-ce en s’adressant à Fogacer, si vieil et si fidèle ami
qu’il était quasiment de notre parentèle.
    — Revenons à nos moutons, dit mon père. Le roi va-t-il
ou ne va-t-il pas faire grâce ? J’ai appris que le cardinal, avec
l’approbation du roi, avait porté la question devant le Conseil des affaires.
Si cela est vrai, Pierre-Emmanuel, pouvez-vous nous en toucher un mot sans
manquer à votre discrétion coutumière ?
    — Mon père, il n’y a pas cette fois de secret. Bien au
rebours. On attend des membres du Conseil qu’ils informent leur entourage.
    — Y eut-il un vote ? demanda Fogacer.
    — Nenni. Le roi n’en voulut pas, réservant sa propre
décision. Quant au débat lui-même, il y eut des interventions diverses, les
unes pour la grâce, les autres contre. Mais la seule qui comptât et que tous
attendaient était celle de Richelieu. Et un prodigieux silence s’établit dans
le Conseil quand il se leva et lut un rapport écrit.
    — Pourquoi « écrit », demanda La Surie, lui
dont l’éloquence coule de source ?
    — Sans doute parce qu’il voulait, en sa prudence,
laisser une trace écrite qu’on ne pût contester.
    — Et pourquoi avait-il à prendre tant de
précautions ?
    — Il se savait tant haï par les Grands qu’il ne voulait
pas leur donner motif de le haïr davantage.
    — Je ne vous entends

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