Le Lys Et La Pourpre
pas.
— Vous allez m’entendre, Chevalier, dis-je avec un
sourire : il n’est que de m’écouter. L’exposé du cardinal fut, comme à
l’accoutumée, très méthodique. Il comportait deux parties et une conclusion.
Dans la première partie, Richelieu énuméra toutes les raisons qu’il y avait de
frapper durement les coupables. Dans la deuxième partie, il passa en revue
toutes les raisons qu’on aurait de leur faire grâce. Puis il conclut.
— En faveur de la grâce ? dit mon père.
— Pas tout à fait. Il laissa entendre que sa robe
cardinalice lui défendait de proposer la mort pour les duellistes. Il optait
donc pour la commutation de ladite peine en peine d’embastillement, sans en
préciser la durée. Mais cette conclusion comportait elle-même un tiroir et
quand on le tirait, on y trouvait une autre conclusion, qui était
celle-ci : « Votre Majesté saura bien, d’elle-même, trouver la
résolution la plus utile à son État. » Richelieu disait « la plus
utile ». Il ne disait pas « la plus humaine ».
— Si je vous entends bien, dit mon père, Richelieu
recommande la grâce, mais il suggère fortement la mort.
— J’en suis tout à plein assuré et aussi pour une autre
raison. La première partie – celle qui plaide pour la mort – est bien
plus riche en raisons susceptibles de convaincre le roi que la seconde.
Richelieu n’ignore pas, assurément, que Louis pousse le souci de la justice
jusqu’à l’inflexibilité. Et voici ce qu’il lui dit : « Il n’y a point
de doute que ces deux hommes ont mérité la mort et il est difficile de les
sauver sans autoriser, en effet, ce qu’on défend par ordonnance… » Vous
vous ramentevez sans doute, Monsieur mon père, qu’il avait déjà martelé ce
principe devant l’Assemblée des notables, en présence du roi : les bonnes
ordonnances ne suffisent pas. Il faut de bonnes exécutions.
— Il y a deux sens au mot exécution, dit La Surie.
— Mais, dit Fogacer, le premier est en apparence plus
bénin que l’autre, puisqu’il ne s’agit que d’appliquer les lois.
— Toutefois, dit La Surie, le premier sens peut
déboucher sur le second.
— Puis-je poursuivre, Messieurs ? dis-je, ne
voulant pas que Fogacer et La Surie ergotent plus avant. Dans la conclusion de
la première partie de son exposé, celle qui plaidait pour la peine de mort,
Richelieu prononça une phrase que je qualifierais de diabolique, si elle
n’émanait pas d’un prince de l’Église.
La voici : « Sire, il est question de couper la
gorge aux duels ou aux édits de Votre Majesté. »
— Pardonnez-moi, dit Fogacer, mais je ne trouve rien de
diabolique là-dedans.
— Si le mot vous choque, mon cher Chanoine, disons que
la formule est extrêmement habile. Car elle a pour dessein d’enfermer le roi
dans une redoutable alternative : ou il condamne Bouteville à mort ou il
souffre qu’on méprise son autorité. Et ladite phrase ne peut qu’elle ne fasse
beaucoup d’effet sur l’esprit d’un roi profondément imbu de son pouvoir.
Remarquez aussi la violence des mots : « Sire, on coupe la gorge aux
édits de Votre Majesté. » Le seul remède pour le roi n’est-il pas de
couper « la gorge aux duels », le mot « duels » étant ici
un mot pudique pour désigner les duellistes ? Je dis « pudique »
car, si les édits du roi n’ont pas de gorge, les duellistes, eux, en ont une.
Lecteur, il se passa en la suite de cette affaire ce qui
s’était déjà vu après la condamnation de Chalais, mais à une bien autre
échelle, car Bouteville appartenait à une illustre famille et les Grands ne
laissèrent pas d’intervenir de la façon la plus pressante pour sauver un des
leurs. Madame de Bouteville et tout ce que la Cour comptait de hautes dames
intercédèrent aussi. Mais tout fut vain. Le roi se montra adamantin en sa
résolution.
Le vingt-deux juin, Bouteville et Des Chapelles, tour à
tour, posèrent la tête sur le billot auprès duquel les attendait Maître
Jean-Guillaume, ses deux mains posées sur la poignée d’une lourde épée dont la
lame bien affûtée brillait au soleil.
La hiérarchie des rangs fut observée. Bouteville fut le
premier exécuté. Des Chapelles, éternel second, vint ensuite.
Bien qu’il leur parût assurément moins plaisant d’être tués
que de tuer, les deux gentilshommes subirent ce duel inégal avec
vaillance : vertu qu’en leur courte existence ils avaient placée
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