Le Lys Et La Pourpre
train
d’escargot. Celle du Fort Louis ne fut même jamais commencée.
La raison qui en fut donnée par le roi – ou le prétexte
dont il usa – fut l’arrivée inopinée à La Rochelle de la duchesse
douairière de Rohan et de sa fille Anne, lesquelles ayant quitté le château de
Soubise, s’installèrent en plein cœur de la ville, entre la mairie et le temple
neuf. « Cœur » est bien dit ici, comme on verra.
Puisqu’il y a apparence qu’il faille toujours en ce royaume
un vertugadin diabolique pour allumer une rébellion, Madame de Rohan tint ce
rôle en notre présent prédicament, encore que bien différente de Madame de
Chevreuse, elle était fort austère et elle brillait de toutes les vertus,
hormis la vertu de tolérance. Comme en même temps qu’austère elle était encore
fort belle en son vieil âge, le peuple de La Rochelle était d’elle raffolé et
vénérait la trace de ses pas. Par malheur pour Louis, la duchesse, huguenote
indomptable, sinon évangélique, n’aspirait qu’à souffler sur les braises de la
guerre civile en cette cité qui n’était plus guère « la bonne ville »
du roi de France. Pendant ce temps, son fils aîné, le duc de Rohan, tâchait de
soulever les réformés du Languedoc et son fils cadet, Monsieur de Soubise,
pesait à Londres de toutes ses forces sur Buckingham et le roi Charles
d’Angleterre pour les décider à dépêcher une escadre et une armée sur les côtes
françaises, afin de prévenir l’attaque de Louis contre la citadelle
protestante.
Quand je rencontrai plus tard la duchesse de Rohan, elle
m’accueillit avec cette douce courtoisie qui charmait tous les cœurs, encore
qu’elle dût me considérer en son for comme un mécréant papiste promis aux
flammes éternelles. Bien que vertueuse, elle aimait séduire, car tout en étant
rigide huguenote, elle était femme et mère aussi, et ce n’était pas seulement
le triomphe de sa religion qu’elle se proposait d’atteindre par cette révolte
dont elle était l’âme. Elle vivait dans une sorte de rêve féodal dans lequel
ses deux fils se taillaient dans le royaume de France deux principautés
indépendantes, l’un régnant sur La Rochelle et les îles et l’autre sur le
Languedoc.
Les commissaires du roi qui, installés à La Rochelle,
veillaient à l’exécution du traité de paix, ne faillirent pas à entendre que le
parti de la rébellion qui n’était pas, à La Rochelle, le plus puissant par le
nombre, mais le plus ardent à remuer, recevait avec la duchesse un renfort
inquiétant. Ils osèrent dire tout haut que le roi surseoirait au rasement de
Fort Louis, tant que Madame de Rohan ne serait pas hors des murs. Les Rochelais
s’indignèrent de ces propos. C’était quasiment toucher à leur
« sainte », si du moins j’ose parler de « sainte »,
s’agissant d’une protestante qui ne les reconnaissait pas.
Madame de Rohan, quant à elle, ne battit pas un cil et ne
bougea pas d’un pouce. Le Fort Louis demeura intact, sa garnison fut renforcée,
et Monsieur de Toiras, gouverneur du roi à La Rochelle, poussa avec la plus
grande activité l’achèvement de la citadelle Saint-Martin dans l’île de Ré.
Cette citadelle, si forte et si proche d’eux, donnait des cauchemars aux
Rochelais et, des deux côtés, la défiance et la peur grandissaient.
Jean du Caylar de Saint-Bonnet, seigneur de Toiras, était un
homme d’un si bon métal et joua un rôle de si grande conséquence dans les
événements dramatiques dont l’île de Ré fut bientôt le théâtre que je ne
faillirai pas, le moment venu, de dire de lui ma râtelée.
Pour l’instant, plaise au lecteur de me laisser revenir à
cet état qui n’était pas encore la guerre, mais qui n’était déjà plus la paix.
En juin, le roi et le cardinal me dépêchèrent en Angleterre,
porteur d’un message oral par notre chargé d’affaires, Monsieur du Molin. Je
dis « oral » pour les raisons que les Anglais interceptaient au
passage, par ruse ou force, les messages qu’il dépêchait en France et la
plupart de ceux qu’il recevait du roi. Or, le cardinal s’inquiétait fort des
menées de Monsieur de Soubise auprès de Buckingham et de Charles I er .
Soubise, qui par deux fois avait ravi des villes au roi et
l’avait contraint à deux expéditions militaires pour les reprendre, avait reçu
de Louis, pour prix de sa soumission, au moment du traité de paix, la promesse
de deux cent dix mille livres,
Weitere Kostenlose Bücher