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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’entre eux ne trouvèrent pas opportun qu’on envoyât dans l’île, en
renfort de Toiras, une forte armée pour déloger les Anglais. C’était,
disaient-ils, disperser nos forces au lieu de les concentrer toutes sur La
Rochelle. Au fond, et sans l’oser dire, ils se résignaient d’avance à la perte
de l’île de Ré, comptant vaguement sur l’hiver et les intempéries pour défaire
l’armée anglaise qui Fallait occuper. Argument insensé, vu que l’hiver et les
intempéries ne sont pas inconnus en Angleterre et qu’il n’y avait pas apparence
qu’ils découragent plus les Anglais sur l’île de Ré qu’au bord de la Tamise.
    À ouïr ces sornettes, le sang me bouillit dans les veines,
indigné que j’étais que dans ce royaume il y eût toujours, et en toutes
affaires, un parti de l’abandon, face au parti de la résistance, comme cela
avait été si tristement évident sous la Régence, quand Marie de Médicis, avec
la seule approbation des ministres barbons, pactisait avec les Grands en
révolte armée contre son pouvoir et les couvrait d’or au lieu de leur courir sus.
    Richelieu, ayant demandé la parole au roi, se leva, et bien
qu’il parlât avec le calme, la clarté et la méthode qui lui étaient habituels,
ceux qui le connaissaient ne faillirent pas à discerner, dans les éclairs qui
traversèrent ses yeux, l’indignation qui l’avait habitée à ouïr les propos que
j’ai dits.
    — L’île de Ré, dit-il, est importantissime. S’il s’en
rendait maître, l’Anglais pourrait emporter à l’instant l’île d’Oléron, et
s’étant fortifié dans l’une comme dans l’autre, et possédant en outre la
maîtrise des mers, il pourrait être secouru par Londres en hommes et en vivres
autant qu’il le voudrait. En outre, il tirerait grand avantage du vin et du sel
de l’île de Ré, des blés et des bestiaux de l’île d’Oléron ; il
empêcherait la pêche de nos pêcheurs, il ruinerait notre cabotage sur les côtes
atlantiques, et, pis encore, il ferait, à tout propos, des descentes sur le
continent et croîtrait tous les jours en conquêtes. Il ne faut donc laisser
emporter aucun avantage aux ennemis, pour peu que ce fût, et ce n’est pas peu
que ces îles ! Bien au rebours, il faut tout tenter pour en chasser
l’Anglais car lorsqu’il serait bouté hors, La Rochelle en serait grandement
affaiblie, et la reddition d’ycelle infiniment facilitée.
    Je vis bien que d’aucuns parmi les lâches tenants de
l’abandon et du laisser-faire, eussent voulu quelque peu se rebéquer, mais le
roi, les voyant s’agiter, ne leur laissa pas le temps de déclore le bec et
déclara, à sa manière laconique et péremptoire :
    — Je ne laisserai jamais âme qui vive s’emparer, fût-ce
d’une parcelle de mon royaume, sans tout faire pour l’en débucher.
    C’était bien la première fois que ce terme de chasse – débucher  –
était prononcé dans le Conseil et à mes oreilles ravies, il sonna l’olifant.
Dans la minute qui suivit, pas une main n’osa se lever pour quérir la parole et
le roi, se dressant, traversa la salle des Conseils d’un pas tranquille et
franchit l’huis, mettant ainsi fin, sans ajouter mot ni miette, à cette
mémorable séance.
    Suivi de Nicolas – fort excité par la tournure que
prenaient les choses, mais demeurant clos et coi comme à l’accoutumée – je
dînai avec mon père et La Surie à qui je contai la chose autant que la prudence
et la discrétion le permettaient.
    — Mon fils, dit-il d’une voix grave, quel honneur vous
est fait de recevoir une mission de telle conséquence ! Certes, je ne faux
pas, en mon vieil âge, d’être effrayé de vous voir affronter tant de périls et
les affronter seul. Mais je me ferais scrupule d’ajouter quoi que ce soit qui
pût diminuer votre joie de servir Louis en ses armées. La Surie, qui vous
pourvoira en armes et en munitions, va dans le même temps, vous garnir de tant
de conseils que vous en aurez l’oreille bourdonnante et la tête farcie…
    Mais La Surie, la voix étranglée en la gorge par son
émeuvement, parla peu de prime et seulement d’un mousquet miraculeux par sa
précision qui était le sien et qu’il me prêterait pour la durée de la campagne.
    — Pierre-Emmanuel, dit-il, je n’ignore pas que vous
êtes un excellent tireur, vous ayant instruit moi-même dans cet art dans vos
enfances, mais avec ce mousquet-ci, vous trouverez invariablement que

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