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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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d’emprunter un million d’or sur ses propres biens.
    — Dieu du ciel ! m’écriai-je. Que voilà un
émerveillable geste ! Et qui en toute probabilité restera unique dans les
annales de l’Histoire un ministre qui gage ses biens pour le bien de
l’État !
    — C’est que le cardinal ne fait qu’un avec
l’État ! dit Charpentier avec ferveur. Sa vie et son être ne lui
appartiennent plus.
    Je me fis alors cette réflexion qu’à une échelle plus
humble, on eût pu en dire autant de Charpentier qui était au cardinal ce que le
cardinal était à l’État, s’étant voué et dévoué à lui, corps et âme,
travaillant pour lui sous sa dictée depuis matines jusqu’à minuit.
    Là-dessus, Richelieu entra d’un pas vif dans la pièce et
d’un geste non moins vif de la main, me fit signe d’abréger les salutations.
    — Monsieur d’Orbieu, dit-il, Sa Majesté vous dépêche
dans l’île de Ré avec des écus, de la poudre, des armes et l’ordre de poursuivre
avec la dernière vigueur l’achèvement de la citadelle Saint-Martin. Vous serez
escorté par une centaine de soldats sous les ordres de Monsieur de Clérac.
Chaque sac sera rempli d’écus par un commis en présence du surintendant des
Finances et de vous-même, et tous les sacs comptés enfermés dans un coffre aspé
de fer, scellé par un cachet de cire à vos armes et fermé par des serrures dont
vous aurez les clés.
    — J’en aurai donc, Monseigneur, la responsabilité.
    — Et à qui d’autre pourrais-je la donner céans sinon à
vous ? dit Richelieu du ton le plus aimable.
    Je répondis à ce salut par un compliment, et Richelieu,
reprenant dans l’instant son ton expéditif, ajouta :
    — Cette mission terminée, vous demeurerez dans la
citadelle Saint-Martin avec Monsieur de Toiras, votre escorte venant en petit
renfort de sa troupe. Une forte armée suivra dès que ce sera possible.
    Cette deuxième mission à laquelle j’étais loin de m’attendre
me prit sans vert. J’ouvris de grands yeux sans toutefois oser poser question
au cardinal.
    — Monsieur d’Orbieu, dit-il avec un sourire, vous
paraissez surpris.
    — C’est que, Monseigneur, je ne discerne pas de quelle
utilité je peux être à Monsieur de Toiras : je ne sais pas la guerre.
    — Vous l’apprendrez avec lui, dit Richelieu, et vous l’apprendrez
vite, ayant en suffisance toutes les qualités qu’il faut pour acquérir cette
connaissance. Mais là n’est pas le but de cette mission. Vous connaissez
Buckingham et votre rôle sera de conseiller Monsieur de Toiras dans l’attitude
qu’il devra adopter à l’égard du chef de l’armée ennemie si, comme je crois,
Bouquingan débarque dans l’île de Ré. Et comme je vous vois occupé à vous
demander pourquoi je crois cela, je ne faillirai pas d’éclairer là-dessus votre
lanterne. À ma connaissance, Monsieur de Soubise est, ou sera, à bord du
vaisseau amiral et ne pourra qu’il ne conseille Bouquingan de prendre pied non
sur le continent, mais sur l’île de Ré, pour la raison que Soubise la connaît
parfaitement, l’ayant lui-même occupée en 1625, Monsieur de Toiras ayant eu,
comme vous savez, beaucoup de mal alors pour l’en déloger.
    Là-dessus, Richelieu tira une grosse montre-horloge d’une
des poches de sa soutane, et jetant un œil à son cadran, il eut l’air fort
alarmé et s’écria :
    — Vramy ! Déjà neuf heures ! Et le Conseil
est à neuf heures ! Courons, d’Orbieu, courons ! Il serait du dernier
disconvenable de faire attendre le roi ! Il est lui-même si ponctuel.
    Et le grand cardinal, si admiré et si redouté, urbi et
orbi, se mit à courir sans le moindre souci du ridicule dans les couloirs
du Louvre, comme un écolier qui craint d’être pris en faute. Je courus dans son
sillage et j’observai, quand il s’arrêta quelques secondes devant l’huis du
Conseil avant d’y pénétrer, qu’il avait quelque mal à reprendre son vent et haleine.
J’eus à cet instant le sentiment le plus vif de ce qu’était sa vie : un
labeur titanesque au service de l’État et une attention de tous les instants
pour ne pas offenser un prince fort jaloux de son pouvoir et très prompt à
prendre des ombrages au moindre manquement.
    Cette séance du Grand Conseil des affaires fut, entre
toutes, intéressante et décisive. Les conseillers admirent, sans la contester,
la probabilité du débarquement des Anglais dans l’île de Ré. Mais un certain
nombre

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