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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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forte la lettre de Toiras,
laquelle fut écoutée par Buckingham avec attention et par Sir John Burgh avec
un si grand sourcillement et un tel froncement de face qu’ils me donnèrent à
penser que la langue française lui était assez déconnue.
    Dès que j’eus fini, je tendis la lettre à My Lord Duke et
cette fois il voulut bien l’accepter de mes mains, afin de la rendre
intelligible comme il avait dit à l’oreille anglaise du colonel. Il traduisit
donc fidèlement la requête de Toiras pour l’ensépulture de nos soldats tombés
sur la plage de Sablanceaux et la prière subséquente de transporter sur le
continent nos barons grièvement navrés. Mais il ne traduisit pas tout. Il omit
l’offre que lui avait faite Toiras de lui léguer son cheval, au cas où il
serait tué au combat.
    Il me parut que Sir John tiqua fort à nos deux requêtes. Et
en effet, à peine Buckingham eut-il fini sa traduction qu’il dit dans un
anglais aussi rocailleux et heurté que celui de Buckingham était fluide et
suave :
    — My Lord, voulez-vous me permettre de vous ramentevoir
que les colonels de vos régiments et nous-mêmes avions décidé que les cadavres
français pourriraient sans sépulture sur la plage de Sablanceaux ?
    — En effet, dit Buckingham sans battre un cil, nous
l’avions décidé ainsi. Mais l’expérience a prouvé que ce n’était pas une bonne
décision, car l’odeur qui émane de ce charnier devient chaque jour plus
insufférable et pourrit à ce point l’air que nous respirons qu’on peut craindre
une intempérie qui se répande sur l’armée entière.
    Se tournant vers moi, Buckingham changea alors de langue, de
visage et de philosophie et, bien loin de reprendre aucunement à son compte les
raisons d’ordre pratique qu’il venait de donner à Sir John, il se situa sur le
noble terrain de la chevalerie et de la charité chrétienne.
    — Comte, vous pourrez dès cet après-midi envoyer des
soldats enterrer chrétiennement vos morts. Je ne suis pas homme à me venger sur
les cadavres de ceux qui ont donné leur vie pour l’honneur de leur roi…
    — My Lord, dit Sir John Burgh, avec beaucoup de
soumission dans les mots et très peu dans le ton, vos ordres seront obéis.
Pourtant, il me paraît très objectionnable que trois barons français blessés
soient portés sur le continent pour y être soignés. Ne peut-on craindre qu’ils
n’en profitent pour espionner les huguenots de La Rochelle ?
    — Et comment pourraient-ils transmettre leurs
informations, étant cloués sur leur lit ? dit Buckingham avec une certaine
aspérité dans le ton qui ne devait pas le faire aimer par ses officiers. Sir
John, voulez-vous prendre les mesures nécessaires pour que les gentilshommes
blessés soient transportés dans ma chaloupe amirale jusqu’à La Rochelle ?
    — J’y veillerai, dit Sir John, les joues cramoisies.
    Et Buckingham, se tournant alors vers moi, me dit :
    — Comte, j’ai maintenant un Conseil de guerre à
présider, et à mon très grand regret, je dois vous quitter.
    Puis me prenant familièrement par le bras, il m’entraîna
loin de Sir John Burgh et me dit à l’oreille en français :
    — L’offre que m’a faite Monsieur de Toiras de me léguer
son cheval, s’il venait à être tué, m’a extrêmement touché. Dites-lui, s’il
vous plaît, que si par malheur ce cheval devait me revenir, je chérirai
davantage ses crins que les cheveux de ma maîtresse…
    Toiras, dès que je fus de retour à la citadelle, se réjouit
du succès de mon ambassade et rit à perdre vent et haleine quand je lui répétai
le propos de Buckingham sur son cheval.
    — Sanguienne ! dit-il, pour le coup, voilà qui est
outré ! Je n’en crois pas mes oreilles ! Des compliments et des
remerciements de ce pimpesoué ! Cela sonne, morbleu ! comme ces concetti de cour dont nos coquebins sont rassottés ! Et quel dommage que je ne
puisse pas lui dire que j’aimerais, quant à moi, caresser les cheveux de sa
maîtresse plutôt que les crins de son cheval !…
    Et c’est bien vrai, à y penser plus outre, qu’il y avait
quelque ridicule dans cette façon de dire précieuse et façonnière. Mais je dois
ajouter, pour rendre pleine justice à My Lord Duke of Buckingham, qu’il se
conduisit en cette guerre d’une façon constamment humaine, courtoise et
chevaleresque, et que lorsqu’il y faillit – circonstance que je conterai
plus loin – ce fut sans aucun doute sous la

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