Le Lys Et La Pourpre
métier de juger un curé
de village qui fait si bien le sien.
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Les mœurs du curé Séraphin n’étaient point, en 1624, qu’une
déplorable exception. Mais elles eurent quelque tendance à le devenir quand,
vers 1640, Monsieur Vincent, avec l’appui de Richelieu, établit non point le
premier séminaire, car il y eut avant lui bien d’autres tentatives qui, mal
conçues, échouèrent, mais un des premiers séminaires qui remplit bien la tâche
qui lui était prescrite, à savoir former des prêtres instruits et vertueux.
Tant est que bien des années plus tard – je transporte
ici le lecteur presque un quart de siècle dans l’avenir – le Seigneur
ayant rappelé à lui le curé Séraphin, l’évêque nous envoya un prêtre de la
nouvelle farine, Monsieur Lefébure, vrai soldat de l’Église et de la
contre-réforme catholique, roide et rigoureux pour lui-même comme pour les
autres.
Tout changea sous sa férule. Depuis des siècles sans doute,
nous avions à Orbieu une fontaine qu’on tenait pour miraculeuse, soit qu’elle
guérit les rhumatismes, soit que de façon surprenante elle en donnât. Monsieur
Lefébure, humant là le fumet d’une superstition païenne, interdit qu’on s’y
trempât. Nous avions aussi un saint local fort douteux, à vrai dire, lequel
donnait de bonnes récoltes et un bon croît de bétail à qui l’invoquait dans ses
prières. Monsieur Lefébure nous l’ôta, interdisant ces invocations sacrilèges.
Il remit de l’ordre dans l’église. Il fut interdit aux
manants d’amener leurs chiens à la messe, de cracher par terre, de changer de
place, de s’interpeller à voix haute d’un banc à l’autre, mesures louables,
mais qu’il accompagna de terribles menaces : les contrevenants seraient
voués aux flammes de l’enfer.
Les garcelettes qui avaient fait Pâques avant les Rameaux
furent traitées beaucoup plus rudement que sous le curé Séraphin. Non content
de les priver de cloches, Monsieur Lefébure ne les maria qu’à la sacristie.
Il bannit de notre bal annuel les danses indécentes comme la
volte, au cours de laquelle la cavalière, projetée en l’air par le cavalier,
battait des pieds, montrant ses chevilles et parfois même un peu de son mollet.
À part une petite heure d’ouverture après la messe, le
cabaret fut fermé tous les dimanches. L’assistance aux vêpres qui, sous
Séraphin, n’était pas obligatoire, le devint et la récitation du chapelet
s’allongea si démesurément qu’elle ne laissa plus de place, surtout en hiver,
pour les jeux de quilles et de palets qui étaient, avec les cartes (mais le
cabaret l’après-midi était fermé), les seuls divertissements de nos manants. Le
village commença à grommeler tout bas que le jour du Seigneur, sous Monsieur
Lefébure, n’était plus le jour du repos.
Il faut rendre cette justice à Monsieur Lefébure : il
connaissait par cœur le nombre, le nom, et l’emploi de tous les diables de
l’enfer. Et son prêche, le dimanche, était si parsemé de propos misogynes que
je me pris à penser que le démon qui tourmentait ce prêtre jeune et vigoureux
en ses nuits solitaires devait être féminin. Et j’en eus la confirmation quand
il devint évident qu’entre tous les pécheurs et pécheresses dont Orbieu, il
faut bien le dire, regorgeait, Monsieur Lefébure abhorrait Célestine.
Célestine, en ses maillots et enfances, n’était pas
différente des autres drolettes du village. Mais à treize ans, son père devenu
veuf la força et l’engrossa. Après quoi, son père mourut et, seulette en sa
chaumière, aucun drôle ne la voulant épouser, Célestine n’eut d’autre ressource
que de s’escambiller pour les veufs et les célibataires : service qui
était parfois payé d’une piécette, mais le plus souvent d’un peu de pain pour
sa huche et de lard pour son pot. Les enfantelets de Célestine, nés de tant de
pères, mouraient de misère en bas âge. Mais Célestine, on ne sait comment,
survivait dans le déprisement général, tolérée, et même en un sens protégée,
par le curé Séraphin qui pensait que son usance, toute peccamineuse qu’elle
fût, limitait les forcements et les incestes, si fréquents dans nos villages.
Monsieur Lefébure, dès le premier jour de son sacerdoce à
Orbieu, conçut le projet de retrancher de son église ce membre malade. Il le
dit sans ambages, du haut de la chaire sacrée et, malgré les remontrances que
je lui en fis,
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