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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Comte, dit Putange, je sais à tout le
moins comment la princesse de Conti l’interpréta. Elle logeait avec Madame de
Chevreuse et Lord Holland dans un hôtel que les échevins d’Amiens avaient
attribué comme logis d’étape à Buckingham. Déjà à cette époque, on murmurait
que l’intimité était grande et scandaleuse, dans ce trio de serpents.
    — Mon ami, dis-je, je vous sais gré de ne pas avoir
inclus ma demi-sœur dans ce trio.
    — À mon sentiment, la princesse de Conti était partie à
l’intrigue sans du tout être la meneuse du jeu. En l’occurrence, son rôle se
borna à rapporter à ses amis le dialogue qu’elle avait eu ce soir-là dans le
jardin avec la reine en l’interprétant selon ses lumières…
    — Qui ne sont pas évangélique…
    — En effet. Ce que je sais, en tout cas, reprit
Putange, c’est qu’elle n’était pas avec Holland, Buckingham et la Chevreuse
lors de la soirée fatale. Peut-être lui avait-on fait entendre que lorsque les
deux couples se formeraient pour la promenade dans le jardin d’Éden, elle
serait de trop.
    — Les deux couples ?
    — La Chevreuse au bras de Holland, la reine au bras de
Buckingham.
    — Tête bleue ! On en était là !
    — Pis même ! Le trio de serpents avait décidé,
j’en suis bien assuré, que le fruit étant à point, c’était ce soir-là que
Buckingham le devrait cueillir à la tombée du jour dans le jardin d’Éden.
    — Fûtes-vous de cette promenade-là ?
    — Moi-même et quelques autres. Il eût fait beau voir
que je n’en fusse pas ! Je suivais la reine comme son ombre. C’était ma
charge et mon devoir.
    — Quels furent les autres dont vous parlez ?
    — Ripert, son médecin, La Porte, son porte-manteau…
    — Et que faisait celui-là ?
    — Il portait, selon la saison, le manteau de la reine,
ou son châle, ou son éventail, ou son ombrelle. Il y avait aussi avec nous un
valet nommé Datel qui faisait, le cas échéant, le vas-y-dire. Et enfin, un
gentilhomme, Monsieur de Jars, et quelques dames.
    — Que faisait là ce Monsieur de Jars ?
    — Il faisait partie de la suite de la reine, mais à
vrai dire, je ne sais pas trop en quelle qualité.
    — Comment les couples se formèrent-ils ?
    — De la façon la plus simple et apparemment la plus
naturelle. Au sortir de la maison, la reine cheminait entre Lord Holland et
Lord Buckingham, Lord Holland à sa gauche et Lord Buckingham à sa droite.
Madame de Chevreuse se promenait à côté de Lord Holland. Tous les quatre
marchaient sur une même ligne et sans se donner le bras. Mais quand on arriva à
un endroit où le sentier se rétrécissait au point de ne laisser place que pour
deux personnes marchant de front, Madame de Chevreuse retint Holland par le
bras et dit à la reine : « Plaise à Votre Majesté de marcher la
première ! » Et comme la reine hésitait à s’engager au crépuscule
dans un sentier bordé des deux parts par de hautes haies, sombres et
impénétrables, Buckingham lui offrit son bras qu’elle accepta. Et il s’enfonça
dans l’ombre avec elle.
    — Où étiez-vous à ce moment-là ? Où était, si vous
préférez, la suite de la reine ?
    — Hélas ! Derrière Lord Holland et Madame de
Chevreuse.
    — Ne pouviez-vous pas les dépasser ?
    — L’étroitesse du sentier tout autant que le protocole
rendaient la chose impossible. Il eût fallu littéralement bousculer Lord
Holland et la Chevreuse pour passer devant eux. Je ne sus m’y résoudre.
Cependant, je me sentais malheureux et inquiet, et le fus plus encore, lorsque
j’observai que Lord Holland et Madame de Chevreuse ralentissaient beaucoup le
pas, la distance entre le deuxième couple et le premier grandissant au point
que, bientôt, je n’arrivais plus à distinguer, dans le crépuscule, le
vertugadin blanc à bandes noires de la reine. Le médecin Ripert dut avoir le
même sentiment que moi, car il me glissa à l’oreille : « Je n’aime
pas cela ! » Preuve qu’il entendait bien, lui aussi, que la lenteur
du couple qui nous précédait avait pour but, en nous séparant de la reine, de
procurer à Buckingham un bec à bec sans témoin. Plus j’y pensais, plus me
poignait l’inquiétude que me donnait une situation aussi scandaleuse et aussi
visiblement machinée et je ramassais mon courage pour violer le protocole et
dépasser le couple obstructeur quand un cri de femme déchira le silence de la
nuit.
    « C’était la reine !

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