Le Lys Et La Pourpre
dans
la ruelle, il m’écarta du plat de la main et passa outre. Que pouvais-je
faire ? Tirer l’épée ? Mais c’eût été crime de lèse-majesté en
présence de la reine !
« Il y avait bien là une trentaine de dames dans la
ruelle, laquelle, à l’accoutumée, bourdonnait comme une ruche. Mais quand
Buckingham y pénétra, vous eussiez ouï une épingle tomber. Cependant, quand le
Lord anglais, s’avançant hardiment vers le lit où la reine était couchée,
s’agenouilla devant ledit lit et en baisa passionnément les draps, en disant
mille folies, ce profond silence laissa place à des exclamations à peine
étouffées, tous les yeux étant tournés vers la reine qui, pâle et trémulante,
paraissait hors d’état d’articuler un seul mot. Madame de Lannoy s’avança
alors…
— La Dieu merci, dis-je, j’attendais son intervention.
— Elle fut de la dernière sévérité. « My
Lord ! dit-elle, il n’est pas coutumier qu’un gentilhomme, si haut
soit-il, s’agenouille ainsi devant le lit de Sa Majesté la Reine et encore
moins qu’il en baise les draps. De grâce, relevez-vous et prenez un
siège ! » Et en même temps, elle fit signe à une chambrière qui, se
frayant difficilement un passage parmi les dames, apporta un tabouret. Mais
Buckingham le prit de très haut : « Madame, dit-il, je suis anglais
et je ne suis donc pas tenu d’obéir aux coutumes françaises ! – My
Lord, repartit Madame de Lannoy, impavide, vous y êtes tenu, quand vous êtes en
France ! » À cela Buckingham haussa les épaules et se tournant vers
la reine, il commença à lui dire les choses les plus tendres…
— Que la reine interrompit aussitôt…
— Eh non ! C’est justement là le point ! dit
Putange avec un soupir. Elle les écouta d’abord, mais prenant enfin conscience
du scandale et de la stupéfaction qui se lisaient sur les faces des présents,
elle changea elle-même de visage et de ton, et reprochant à Buckingham sa
hardiesse, elle lui commanda, mais pas tout à fait avec autant de sévérité
qu’elle aurait dû, de se lever et de quitter la pièce. Ce qu’il fit.
— Exit enfin Buckingham ! m’écriai-je. Et plaise à
Dieu qu’il ne remette jamais son pied fourchu sur le sol français !
— Amen ! dit Putange.
Et levant son gobelet de vin de Bourgogne, il me porta une
tostée, exprimant le vœu que ce souhait fût entendu par le Tout-Puissant. Je
bus aussi et cueillant la tostée du bout des doigts au fond de mon gobelet, je
lui en donnai une moitié et je mangeai l’autre.
Je ne savais pas alors que ce qui n’était encore pour nous
qu’un vœu fervent était déjà devenu, pour le roi et le cardinal, une décision
irrévocable. Ils furent l’un et l’autre adamants en cette résolution :
Buckingham ne devait plus revenir en France, quelque prétexte qu’il inventât à
cet effet, en sa puérile obstination. Le beau Lord fut hors de lui de rage
d’être si fermement repoussé et montra alors quelle sorte d’âme se cachait sous
son apparence magnifique. En Angleterre, il se revancha sur la pauvre
Henriette-Marie, fit d’elle son otage, l’humilia et la persécuta de mille manières
et finit par la fâcher avec Charles I er . Puis, prenant prétexte
de cette fâcherie même, il demanda de revenir en France avec Henriette-Marie
(laquelle aspirait tant à revoir sa mère), se faisant fort, si sa requête était
acceptée, de racointer la princesse française avec son mari anglais. L’odieuse
bassesse de ce chantage dégoûta fort Louis : cette demande, comme les
précédentes, fut rejetée.
Buckingham en était venu à penser que tout lui était dû, y
compris l’amour de la reine de France et, peut-être même, son engrossement. Et
qu’on lui refusât ce dû allumait chez lui une haine farouche, cuite et recuite
sans cesse dans son aigreur, non seulement contre la belle-sœur d’Anne,
Henriette-Marie, hélas, à portée de ses griffes, mais aussi contre les catholiques
anglais à l’égard de qui la persécution anglaise redoubla, et par-dessus tout
contre Louis, Richelieu et le royaume de France.
Étrange sentiment que celui-là chez cet homme qui, au nom de
deux rois, avait recherché le mariage français tant pour remparer l’Angleterre
contre une agression espagnole que parce qu’il espérait que nos troupes
aideraient le comte Palatin, gendre de Jacques I er , à
reconquérir son État.
Or les circonstances, deux ans après
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