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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Je n’y tins plus. Ma décision
fut prise, sans même que je le susse, sauf par ses effets. Je me ruai en avant,
bousculant sans vergogne aucune le vertugadin de Madame de Chevreuse, la dépassai
et me mis à courre comme fol dans le sentier et, oyant des pas derrière moi,
j’entendis que Ripert, La Porte, Datel et Jars me suivaient. Je ne saurais
dire, les tempes me battant, combien dura cette course, mais enfin j’aperçus le
vertugadin blanc à bandes noires de la reine et m’avançant j’entendis sa voix
qui disait, trémulante :
    « — Qui va là ?
    « — Putange, Madame !
    « — Ah ! Putange ! dit-elle d’une voix
où la colère le disputait à la peur, vous n’eussiez pas dû me quitter !
    « — Madame, je ne pus faire autrement. Lord
Holland et Madame de Chevreuse me barraient le chemin. Mais, Madame, repris-je,
que s’est-il donc passé ?
    « — Rien ! rien ! dit-elle d’une voix
faible, donnez-moi votre bras et raccompagnez-moi dans ma chambre.
    — Mon cher Putange, dis-je en lui posant la main sur le
bras, pardonnez-moi, mais dans votre récit vous oubliez Buckingham. Où
était-il ? Que faisait-il ?
    — À la vérité, je ne le vis pas, pour autant qu’on
pouvait voir. Il y avait une lune, mais c’est à peine si elle arrivait à
pénétrer les frondaisons au-dessus de nos têtes. J’en conclus qu’il avait
décampé. Quant à la reine, elle ne desserra pas les dents tout le temps que je
la ramenai dans sa chambre, son bras tremblant continuellement sur le mien. Dès
qu’on eut allumé les chandelles, je pus la voir. Elle était pâle et haletante.
Elle s’assit ou plutôt elle se laissa tomber sur une chaire à bras, et dit
d’une voix faible, mais décidée, qu’elle voulait être seule. Madame de
Chevreuse la supplia de lui permettre de demeurer, mais Anne fit
« non » de la tête. J’attendis que la Chevreuse fût sortie et je
sortis à mon tour.
    — À votre sentiment, que s’était-il passé entre
Buckingham et la reine ?
    — Je vous l’ai dit. La Chevreuse l’avait convaincu que
le fruit était mûr et qu’il le pouvait cueillir.
    — Mais, à votre sentiment, jusqu’où est-il allé ?
    — Il n’a pu aller bien loin. Il s’est passé fort peu de
temps entre le moment où j’ai perdu de vue la reine et le moment où je l’ai
ouïe crier.
    — Savez-vous que ma demi-sœur, qui se pique d’esprit,
raconte qu’elle est prête à répondre de la vertu de la reine « de la
ceinture aux pieds » mais non « de la ceinture en haut ». Qu’en
pensez-vous ?
    — Que c’est là une damnable insolence, mais qui
contient peut-être une part de vérité. Il est possible que Buckingham, tenant
la reine dans ses bras, ait essayé de la baiser au bec et de porter la main à
sa gorge. La pauvre reine a dû être horrifiée par cette audace. Pour se mettre
au diapason de ses amies françaises, elle s’était donné de disconvenables
apparences, qui toutefois ne répondaient pas à sa véritable nature. En son
fond, elle était restée fort naïve et se trouvant si charmée qu’un si bel homme
lui contât fleurette, elle voyait les choses comme dans les romans dont L’Astrée est le modèle : des amants d’une délicatesse angélique échangeaient de
tendres regards et de douces paroles, mais la chose n’allait pas plus loin…
    — Savez-vous qui a décidé de cacher l’aventure au
roi ?
    — La duchesse de Chevreuse le lendemain. La rusée
craignait que la foudre royale ne tombât de nouveau sur elle. Toutefois, la
reine ne voulut pas dissimuler l’incartade à la reine-mère. Et elle fit bien,
car c’était déjà la fable de la Cour. Et la reine-mère fut ravie, ayant une
occasion d’exercer encore une parcelle de pouvoir, elle qui pleurait tous les
jours les temps bénis de la Régence. Elle prit une décision qui fut fort
bienvenue. Henriette-Marie partirait le lendemain, escortée par Monsieur de
Buckingham, et Anne demeurerait avec elle à Amiens tout le temps qu’elle mettrait
elle-même à se rebiscouler. Mais vous savez sans doute, Monsieur le Comte, que
le protocole voulait qu’Anne escortât Henriette-Marie jusqu’à deux lieues hors
la ville, pour lui faire ses adieux.
    — Je connais cette étrange disposition de notre protocole.
J’étais là quand Louis accompagna sa sœur Élisabeth jusqu’à deux lieues hors
Bordeaux quand la princesse partit pour la Bidassoa où l’attendait l’infant. Je
me

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