Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
voulant, ni ne pouvant punir la
reine, punit son entourage ? Croyez-vous que Sa Majesté, qui est l’équité
même, ne soit pas sensible à l’injustice de cette punition qui frappe des
innocents et qui n’a d’autre raison d’être que de signifier à la reine qu’il
est d’elle mécontent ? Il y a donc fort à parier que ces mesures qui, à
tout prendre, ne sont qu’un avertissement ad usum reginae [17] , seront un jour révoquées. C’est
pourquoi j’oserais vous donner cet avis : ne quittez pas Paris ! Ne
partez pas au diable de Vauvert ! Ne courez pas vous enterrer ! On
vous oublierait !
    — Mais où demeurer en Paris ? dit Putange. Les
loyers y sont exorbitants de raison et bien trop gros pour mon escarcelle.
    — Oyez-moi bien, mon ami. Mon hôtel de la rue des
Bourbons se trouve présentement sans locataire et je vous y logerai sans bourse
délier. D’ici quelques jours, mon ami, faites savoir discrètement à la reine où
vous êtes et soyez sûr que, l’orage passé, elle ne faillira pas à vous rappeler
auprès d’elle.
    Monsieur de Putange, craignant de me compromettre aux yeux
du roi, commença par refuser cette offre, mais, sur mon insistance, finit par
l’accepter avec des larmes de joie et de gratitude et je ne sais combien
d’embrassades et de serments de me servir toujours.
    Je noulus le laisser seul en cette vaste demeure de la rue
des Bourbons que j’avais achetée, sur son partement, à Madame de Lichtenberg et
je profitai du séjour de mon père en sa seigneurie du Chêne Rogneux pour le
prier, à son retour, de passer par Orbieu et de ramener en Paris, pour le
servir, Jeannette, un de mes cuisiniers et une chambrière, afin que le
malheureux écuyer eût au moins l’embryon d’un domestique qui lui permettrait,
non certes de tenir son rang, mais de vivre comme un gentilhomme. Putange en
fut au comble de la joie et dès qu’il le put, il m’invita à dîner au bec à bec,
repas pour moi fort mémorable, car je ne faillis pas à lui poser quelques
questions sur cette affaire d’Amiens sur laquelle j’avais ouï au Louvre tant de
versions différentes que j’avais fini par les décroire toutes.
    — Mais, savez-vous, dit Putange en secouant la tête
d’un air chagrin, qu’il ne se serait rien passé à Amiens s’il n’y avait pas eu
trois reines, chacune accompagnée d’une suite nombreuse.
    — Trois reines ? dis-je en levant les sourcils. La
reine-mère, la reine Anne…
    — Monsieur le Comte, vous oubliez Henriette-Marie, qui
était déjà reine d’Angleterre, puisqu’elle avait été mariée par procuration à
Charles I er . Pour ne parler que d’elle, sa suite, comme vous
vous le ramentevez peut-être, comportait un évêque, plusieurs prêtres et outre
cela, une bonne centaine de personnes.
    — C’est-à-dire beaucoup plus, dis-je, avec un sourire,
que les estomacs anglicans n’en pourront supporter !
    — Je le pense aussi, dit Putange. Il reste que cela
faisait beaucoup de monde et que, ne pouvant tout loger au palais épiscopal
d’Amiens, on n’y mit que la reine-mère et Henriette-Marie, donnant en partage à
la reine Anne une vaste demeure dont le jardin, fort plaisant, s’étendait le
long de la rivière de Somme. Dès qu’elle le vit, la reine en fut raffolée et le
soir même de son advenue, elle s’y alla promener pour goûter son calme et sa
fraîcheur, les journées en ce mois de juin, surtout en carrosse, ayant été
torrides. En outre, bien que ce jardin ne fût pas très grand, il paraissait
tel, l’allée sinuant de bosquet en bosquet entre deux profondes haies, tant est
qu’on oyait couler l’eau de la Somme sans jamais la voir, les frondaisons en
cachant la vue. Comme je suivais la reine partout où elle allait, étant le
premier de sa suite, je l’entendis dire à la princesse de Conti qui cheminait à
son côté combien elle aimait ce lieu, les parfums de ses fleurs, la tiédeur de
l’air, les mille chuchotis de la rivière. « J’imagine, dit-elle (avec ce
chantant accent espagnol que, Dieu merci, elle n’a jamais réussi à corriger),
que le jardin d’Éden ne devait pas être très différent. » « Sauf, dit
la princesse de Conti, qu’à celui-ci, il manque un Adam… »
    — Et que répondit la reine à cet effronté propos ?
    — Ni mot ni miette. Jusqu’à la fin de la promenade,
elle demeura silencieuse.
    — On peut, dis-je, interpréter ce silence de deux
façons.
    — Monsieur le

Weitere Kostenlose Bücher