Le Lys Et La Pourpre
ramentois que Louis était alors sorti de son carrosse et étreignait
passionnément la sœur qu’il ne reverrait jamais plus en versant des larmes
grosses comme des pois.
— Après le départ d’Henriette-Marie, il y eut bien
quelqu’un qui pleura et non point sur elle. Ce fut Buckingham. Il avait suivi à
cheval le cortège royal et dès qu’Henriette-Marie fut entrée dans son propre
carrosse, il mit pied à terre et, surgissant comme un beau diable à la portière
du carrosse royal, le grand comédien, le visage tout ruisselant de pleurs,
supplia la reine de lui pardonner, plaidant que sa grande amour l’avait emporté
hors de ses gonds.
— Que fit la reine ?
— Les yeux fixés droit devant elle, elle demeura de
glace. À quoi la princesse de Conti, qui était assise à sa droite,
s’écria : « Ah Madame ! Vous êtes par trop cruelle ! »
— Eh quoi ? Cette pimpésouée avait encore le front
de donner des leçons de morale à la reine !
— Oui-da ! mais sans succès. La reine n’accorda
pas un regard au beau Lord, bien le rebours. Elle fit un signe, son carrosse
s’ébranla et Buckingham demeura planté au milieu du chemin, rengainant ses
larmes, et plus humilié qu’un renard dont on aurait coupé la queue.
— Prions que cette rebuffade lui serve enfin de
leçon !
— Ah, Monsieur le Comte ! Rien ne sert de leçon à
cet extravagant. Son immense fatuité ne pouvait admettre qu’une femme, fût-elle
la reine de France, ne consentît pas à se laisser déshonorer par lui. Arrivé à
Boulogne avec Henriette-Marie, et ne pouvant s’y embarquer tout de gob en
raison d’une furieuse tempête, il imagina, se peut sur le conseil de Holland et
de la Chevreuse, de retourner à Amiens et de revoir la reine. Il y fallait un
semblant de raison : ce furent des lettres de son maître Charles I er qu’il avait reçues à Boulogne et qu’il voulait montrer à la reine-mère.
« À Amiens où il retourna à brides avalées, la
reine-mère, que son intempérie clouait au lit, lut ces lettres, et bien qu’elle
ne fut pas grand clerc, elle entendit bien qu’elles étaient de nulle
conséquence, et qu’elles ne servaient que de prétexte. Ce que confirma
Buckingham en exprimant le désir de visiter la reine. « Demandez-le-lui,
Monsieur », dit la reine, laconiquement.
« La reine Anne, elle aussi, gardait le lit pour avoir
subi saignée le matin même, et fut béante de ce retour. « Quoi !
dit-elle, revenu ? » et elle ajouta avec un soupçon
d’hypocrisie : « Et moi qui pensais que nous en étions
délivrés ! » Là-dessus, elle pria la comtesse de Lannoy de dire à
Buckingham qu’ « elle ne pouvait le recevoir, car il ne plaisait pas au
roi que la reine permît l’entrée de sa chambre aux hommes, quand elle se
trouvait alitée ».
— Et qui était cette comtesse de Lannoy ?
— La plus âgée des dames d’honneur, laquelle était
devenue, depuis son veuvage, un parangon d’honneur et de vertu. On ne pouvait
donc s’attendre qu’elle adoucît la rudesse du refus par la suavité de son
adresse. « Nous verrons bien, lui dit Buckingham, furieux et quasi
écumant, allons demander à Sa Majesté la Reine-Mère ce qu’elle en pense !
Suivez-moi ! »
— A-t-on jamais vu une aussi damnable arrogance ?
Il se conduisait à la Cour de France comme en pays conquis ! Qu’eût-il
fait de pis, s’il avait coqueliqué avec la reine ?
— La reine-mère fut comme nous tous stupéfaite de le
voir revenir. Néanmoins, elle l’écouta et écouta aussi Madame de Lannoy qui,
roide comme la justice, brandissait la coutume et le protocole. Et à la parfin,
lassée de cette dispute, la reine-mère finit par dire : « Et pourquoi
la reine ne le recevrait-elle pas, couchée ? Je l’ai bien fait
moi-même ! »
— Mais qu’est cela, Monsieur de Putange !
m’écriai-je béant. Est-ce perfidie ? La reine-mère voulait-elle que sa bru
se compromît plus avant ? Ne voyait-elle pas la différence entre une
visite de courtoisie à une reine âgée et sans grâce et une visite galante à une
jeune et belle reine à qui l’insolent avait déjà conté fleurette ?
— Quoi qu’il en fût, dit Putange qui me parut peu
disposé à incriminer la reine-mère, la chose était jugée : la chose se
fit. Buckingham pénétra le front haut dans la chambre de la reine et bien que
je tâchasse de l’arrêter, quand il voulut franchir la balustre et pénétrer
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