Le Lys Et La Pourpre
se
réveillant de ses douces rêveries, Anne éprouvait quelques scrupules, dont elle
faisait part à qui, Dieu bon ? sinon à la Chevreuse, laquelle se hâtait
d’endormir sa conscience, en lui répétant que peu importaient les apparences,
pourvu que l’intention fût droite… C’est pitié que personne ne ramentût à la
reine que Jules César avait répudié sa femme, non parce qu’elle l’avait trompé,
mais parce que sa conduite imprudente avait donné prise à des rumeurs.
Les rumeurs de cette farine atteignaient notre roi et
comment ne l’eussent-elles pas atteint, alors que l’appartement de la reine, au
premier étage du Louvre, jouxtait le sien et que tant de bourdonnants fâcheux
circulaient de l’un à l’autre en colportant les nouvelles, sans même qu’ils en
eussent conscience, comme les insectes, le pollen des fleurs ?
À en juger par sa mine et ses silences, Louis paraissait ne
rien savoir et ne pâtir en rien. Mais il n’est face imperscrutable à qui un
regard ami ne livre son secret. À l’expression de ses yeux, au pli de ses
lèvres, à l’humeur escalabreuse qu’il montrait à son entourage, il était aisé
de conclure que Louis était profondément chagrin qu’Anne eût conçu tant
d’attirance pour ce bélître.
Se sachant épié par la Cour, Louis ne changea rien aux
visites protocolaires qu’il faisait à son épouse. Mais il les raccourcit
quelque peu et sous son masque de courtoisie, il montra à la reine quelque
froideur. Ce n’était pas assez pour redonner la vue à cette aveugle, ni pour
percer la cuirasse dont sa passion la revêtait. Je me suis souvent apensé qu’il
aurait fallu aller trouver Anne sur la minuit en sa chambre, au seul moment où
il n’y avait avec elle que deux ou trois femmes et, derrière les courtines, lui
parler avec les grosses dents et sans rien ménager. Mais Louis n’était point
l’homme qu’il eût fallu pour cette scène de haute graisse. Non qu’il fût
timide, comme de sottardes gens l’ont dit. Combien de fois en ses enfances, je
l’ai ouï rebuffer prince ou duc rudement, parce qu’il avait désobéi. Mieux
même, je l’ai vu gourmander nos grands évêques deux ans plus tard en termes
crus et véhéments, allant jusqu’à leur reprocher leurs richesses et leurs
ripailles, parce qu’ils tardaient à mettre la main à l’escarcelle pour lui
bailler les pécunes nécessaires au siège de La Rochelle. Mais une tonnante
algarade infligée à une femme derrière les courtines d’un baldaquin n’était pas
dans ses cordes. Le gentil sesso le mettait mal à l’aise. J’oserais
dire – tout paradoxal que cela puisse paraître – qu’il n’aimait pas
assez les femmes pour leur chanter pouilles, quand leurs conduites le
décevaient.
Le roi jugeait au-dessous de sa dignité de faire espionner
la reine, mais le cardinal avait des observateurs partout, estimant qu’il n’est
pas querelle si mince, ni désordre si petit qu’il ne puisse dégénérer un jour
en affaire d’État. Par une de ses mouches, il fut fort déquiété d’apprendre que
l’engouement de la reine pour Buckingham allait tous les jours croissant et que
les apparences, aux yeux de toute la Cour, empiraient. Il suggéra au roi de
hâter le départ d’Henriette-Marie pour l’Angleterre, suggestion que Louis
accepta en un battement de cils, tant elle comblait ses vœux.
Il était d’usage que la Cour accompagnât jusqu’à la
frontière la fille de France qui allait marier un prince étranger, et le
lecteur, se peut, se ramentoit que Louis en ses adolescences, avait tenu
compagnie à sa cadette la princesse Élisabeth (promise à l’infant d’Espagne)
jusqu’à Bordeaux, mais ne put aller plus loin sur l’ordre de sa mère, la
séparation entre le frère et la sœur s’étant faite à deux lieues de la ville,
hors carrosse.
Louis n’était pas affectionné à Henriette-Marie autant qu’il
l’avait été à Élisabeth, avec qui, en ses maillots et enfances, il aimait à
jouer au grand frère et au roi, étant d’elle raffolé et lui cuisant des
œufmeslettes pour la divertir. En outre, il ne pouvait s’éloigner longtemps de
Paris, les remuements des huguenots lui donnant des soucis à ses ongles ronger.
Il n’accompagna Henriette-Marie que jusqu’à Compiègne et, retournant alors
jusqu’à sa capitale, laissa à la reine-mère, à la reine régnante et à Monsieur,
le soin de la conduire jusqu’à Boulogne où elle devait
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