Le Lys Et La Pourpre
ton badin et folâtre,
si vous me le permettez.
— Madame, comment oserais-je vous reprocher de recourir
à ce ton-là, alors que vous avez prêté si attentivement l’oreille à mes graves
discours ?
— Eh bien, Comte, voici ! Comment se fait-il que
vous ne pouvez aller au lit sans être déshabillé par une soubrette ?
— Madame, la chose est simple. Je n’ai pas de valet.
— Et La Barge ?
— La Barge est mon écuyer. Il est de maison petite,
mais noble.
— Et ne pouvez-vous pas vous dévêtir seul ?
— Ce n’est pas l’usage dans l’ordre de la noblesse.
— Laissons là l’usage ! S’agissant d’une
soubrette, il me semble que la morale devrait proscrire cette promiscuité…
— À la vérité, Madame, j’y perdrais prou.
— Quel aveu dénué d’artifice !
— Mais, Madame, voudriez-vous que je vous
mentisse ?
— Non point, non point ! La franchise est votre
plus belle qualité.
— La grand merci pour les autres.
— Franchise pour franchise, peux-je vous dire cependant
que je n’ai guère goûté la scène où vous avez joué le raminagrobis avec cette
tendre souris.
— Est-ce bien Jeannette que vous nommez ainsi ?
— Oui-da.
— Ma fé ! Je ne sais qui de Jeannette et de moi
est la souris de l’autre. N’avez-vous pas observé comme elle voulait me
poutouner pour arriver à ses fins ?
— Oh ! Oh ! Vous n’allez pas vous faire un
mérite d’avoir dit « non » ! J’ose prédire que vous ne
détournerez pas longtemps la tête, si elle entre au service de Monsieur Votre
Père.
— Mais, Madame, vous n’ignorez pas que je loge au
Louvre.
— Mais, Monsieur, je n’ignore pas non plus que lorsque
vous dînez chez le marquis de Siorac, vous aimez faire une petite sieste dans
la chambre de vos enfances.
— Le Révérend docteur-médecin Rondelet recommandait la
sieste à la méridienne : il la trouvait rebiscoulante.
— Je ne doute pas qu’elle vous rebiscoule encore plus,
quand Jeannette la partagera.
— Mais, au sujet de Jeannette, Madame, je n’ai pas
encore pris de décision. Elle me rend de grands services à Orbieu.
— Mais ne serait-ce pas pour vous une bien grande
commodité, et plus grande encore, d’avoir une Louison à Orbieu, et une
Jeannette en Paris ? Vous ne risquez pas de trop pâtir des affres de
l’austérité.
— Mais enfin, Madame, où est le mal à cela ? Ne voulez-vous
pas entendre que pour ces aimables garcelettes, je ne suis que le marchepied de
leurs ambitions ? Vous les avez ouïes comme moi ! Avant que je me
marie, l’une veut de moi un bâtard qui sera élevé au château d’Orbieu et
portera mon nom. Et l’autre veut s’établir en Paris dans l’espoir de marier un
honnête artisan qui lui baillera pignon sur rue.
— Et vous entrez dans ces barguins ?
— Et pourquoi pas ? Elles sont vives, frisquettes,
avec une fraîcheur de cœur qui ne laisse pas que de m’affectionner à elles.
— Mais, Comte, ne pourriez-vous pas aspirer plus
haut ?
— Ah Madame ! Que de trichotes et de cachottes
pour dissimuler ma liaison avec Madame de Lichtenberg ! Et encore
vivait-elle très retirée sans aucune amie française et sans jamais mettre le
pied à la Cour !
— Et pourquoi ne devait-on pas connaître ce lien ?
— Madame, dois-je le répéter ? Louis abhorre les
amours hors mariage et une liaison avec une haute dame de la Cour ne saurait
échapper à sa vigilance.
— Et le cardinal ?
— Son point de vue est politique. Il craindrait que je
me laisse emberlucoquer dans les intrigues de ces « étranges
animaux », et il perdrait alors toute fiance en moi. Savez-vous qu’il a
été fort soulagé d’apprendre ma brouille avec la princesse de Conti, alors même
qu’elle n’est que ma demi-sœur ? Ce qu’il y a de bon dans mes soubrettes,
outre leurs belles qualités, c’est qu’elles sont de si petites personnes
qu’elles échappent à l’œil du roi. Quant au cardinal qui, grâce à ses espions,
sait tout, et jusqu’au moindre détail, il n’ignore pas que ce n’est pas de ces
garcelettes que viendraient pour lui l’embûche et le péril, mais d’une duchesse
de Chevreuse, d’une Madame de La Vallette, ou d’une princesse de Conti.
— Pour échapper à ces sourcillements et à ces
surveillances, pourquoi ne vous mariez-vous pas ?
— Tête bleue, Madame ! Quelle est cette rage de me
vouloir traîner à l’autel ! N’est-ce pas
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