Le Lys Et La Pourpre
garder carrosse par-devers lui afin
de le remparer, mon père me prêta le sien, insistant pour m’accompagner ainsi
que La Surie, Poussevent faisant le cocher, et Pissebœuf assis à côté de lui,
deux mousquets chargés à leurs pieds. J’arrachai La Barge à nos chambrières,
mais ne voulant pas mettre le petit babillard dans la confidence, je lui dis qu’il
y aurait grand honte pour lui à ne pas prendre congé de Mademoiselle de
Lorgnes, curatrice aux pieds de Sa Majesté la Reine-Mère, puisque, ajoutai-je,
nous allions départir de Paris dans l’après-dînée. Cette curatrice dont il
était épris était une petite personne vive et frisquette, qui, du fait de ses
fonctions, connaissait le monde entier. Mon père, La Surie et moi avions chacun
deux pistolets chargés dissimulés dans nos pourpoints mais non La Barge à qui
je n’eusse osé confier un tel arsenal. Non qu’il faillit en vaillance, mais en
prudence. Je ne l’eusse pas amené avec moi si je n’avais pas conjecturé que la
curatrice, oyant que j’allais départir pour Fleury en Bière dans l’après-dînée,
le répéterait urbi et orbi. Pour moi, tandis qu’il allait faire sa cour
à la garcelette avec l’ordre formel d’être de retour chez moi dans une
demi-heure, j’allai trouver Charpentier et lui dis que s’il voulait rejoindre
le cardinal à Fleury en Bière, je le prendrais comme promis avec moi. Mais
qu’il fît vite son petit bagage et me vînt rejoindre dans l’heure en mon
appartement puisque nous allions départir dans l’après-dînée.
Je pus alors vérifier avec quelle extraordinaire célérité,
une nouvelle, impartie à deux ou trois personnes au Louvre, gagne de proche en
proche et se répand partout, car une demi-heure à peine s’était écoulée après
que la curatrice aux pieds et Charpentier eurent appris mon département que,
rencontrant Bassompierre dans l’escalier Henri II au Louvre, il me salua
d’un air plus embarrassé qu’amical (nos rapports s’étant fort refroidis depuis
ma brouille avec la princesse de Conti) et me dit :
— J’ai ouï que vous départiez cet après-midi pour
Fleury en Bière. Cela est-il constant ?
— Oui-da.
Alors jetant un œil de tous côtés, Bassompierre s’approchant
de moi à me toucher me dit sotto voce :
— Je n’aime guère cela. On dit que cette route est
infestée de brigands. Gardez-vous bien…
Après quoi, sans autre forme de civilité, il me tourna le
dos et s’en alla. Pour la première fois, je sentis que la menace sur moi était
bien réelle, puisque, à mots couverts – et le mot « brigands »
était bien un de ceux-là –, Bassompierre m’avait mis en garde. Je sentis
la sueur ruisseler sous mes aisselles et le long de mon dos, et mes jambes sous
moi se mirent à trémuler. Mais ce malaise ne dura qu’un instant. Je gagnai à
pas rapides mon appartement où je retrouvai mon père et La Surie et leur contai
ce dialogue, si bref et si lourd de sens, avec Bassompierre. Ce qui à la
réflexion me frappa et me mordit le cœur, c’était cet air gêné et quasi
coupable qui passa sur le visage de Bassompierre quand, trahissant son camp, et
son épouse, il me prévint à voix basse du péril que je courais. On eût dit que
ce sacrifice à notre amitié lui était fort pénible et je jugeai par là à quel
point il était lié au parti de la Chevreuse par l’intermédiaire, bien sûr, de
la princesse de Conti. Et non seulement à ce parti, mais au complot contre le
cardinal et le roi. Je me ramentus alors qu’un mois ou deux plus tôt, au cours
d’une séance du Conseil, il s’était montré fort impertinent envers Sa Majesté,
Richelieu intervenant aussitôt pour empêcher les choses de s’envenimer. J’en
avais conclu que Bassompierre était déjà fort travaillé par le vertugadin qui
dominait sa vie et j’en fus d’autant plus peiné qu’il n’avait pourtant pas à se
plaindre de Sa Majesté, laquelle l’avait nommé Maréchal de France en 1622 et
lui avait coup sur coup confié deux ambassades, ce qui montrait la haute
opinion qu’Elle avait de ses talents.
À notre retour à la rue du Champ Fleuri, je pris La Barge et
Charpentier à part et leur dis que nous n’étions pour départir que le lendemain
pour des raisons qui tenaient à nos sûretés et que, pour les mêmes raisons, je
leur demandais de ne saillir de la maison de mon père sous aucun prétexte, mais
d’y demeurer confinés jusqu’à notre
Weitere Kostenlose Bücher