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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fils ; il n’est
pas plaisir plus délicieux que de languir un peu de soif, quand on sait qu’un
beau fruit est à portée de main.
    Ayant dit, il me prit dans ses bras et me donna une forte
brassée et aussitôt me requit des nouvelles de son fils, le petit Julien de
Siorac.
    — J’irai le voir, dit-il, aux beaux jours. Je ne sais
si je le dois à l’âge, mais je souffre la froidure et les frimas beaucoup moins
bien qu’avant.
    — Que dites-vous là, Monsieur mon père ? Les
années s’effeuillent autour de vous sans vous toucher.
    — Elles me touchent, mais par degrés insensibles. À mon
sens, puisqu’il faut à force forcée vieillir, autant vieillir lentement et, si
j’ose dire, en bonne santé. Qu’avez-vous fait de La Barge ?
    — Il est à la cuisine gobant de la langue un œuf et de
l’œil vos chambrières…
    — Il prendra donc tout son temps. Où allez-vous,
Monsieur mon fils, que vos vêtures sont hors les coffres ?
    — D’ordre du roi, à Fleury en Bière chez le cardinal.
    — Je vous préfère là plutôt qu’à Fontainebleau. C’est
devenu un vrai guêpier que cette cour !
    — Par malheur, j’ai déjà une ou deux guêpes voletant
autour de moi.
    — Vous m’en direz votre râtelée dans la librairie. La
Surie y a fait allumer un grand feu et il sera fort aise de vous voir et de
vous ouïr.
    — Monsieur mon neveu, dit La Surie, dès que j’eus mis
le pied dans la librairie où dans l’âtre dansaient de hautes flammes fort
agréables à voir et dont la chaleur m’enveloppa délicieusement le corps,
Monsieur mon neveu, vous avez du souci. Je le vois à votre œil, qui n’est point
si gai, si vif, si scintillant, et si avide qu’à l’accoutumée de mordre la vie
à dents aiguës ? Mon neveu, parlez-moi à la franche marguerite !
Qu’est-ce qui vous point à ce point ?
    Ce « point à ce point » était un de ces giochi
di parole dont La Surie aimait parsemer ses propos. Je souris à cette
innocente manie et incontinent – sans me donner le temps de
répondre –, ce qui était bien aussi dans ses façons de faire, La Surie me
donna une fort longue brassée et à ce que je vis, quand enfin il me libéra, il
avait une larmelette au bord de son œil marron, car son œil bleu restait
impassible, ne paraissant jamais prendre part aux émeuvements de son
maître ; lequel, malgré son âge, son expérience et sa force d’âme, ne
laissait pas soit de s’attendrézir, soit de s’escalabrer en des colères des
plus piquantes.
    Trois chaires nous tendaient les bras devant le feu. Mon
père s’assit et après lui, dans l’ordre, moi-même et La Surie, tendant d’un
même mouvement nos bottes à la chaleur des flammes. Et le silence se faisant,
je leur narrai alors de mon entretien avec le père Joseph un conte que je
voulus succinct car je distinguais mal ce qui dans les propos du capucin était
connu du monde, ou ce qui n’était su encore que du roi et de ses proches
conseillers. Tout en parlant, je scrutais le visage de mon père pour me guider
sur l’étonnement qu’il trahirait pour abréger encore mon récit. Mais il n’en
trahit aucun, ce qui m’amena à penser qu’il savait déjà que la cabale autour du
mariage de Monsieur tournait à la rébellion, sans peut-être qu’il en connût les
derniers développements, ceux qui menaçaient directement le cardinal et le roi.
    Quand j’eus fini, mon père m’envisagea comme s’il eût voulu
scruter le fond de ma cervelle et dit sotto voce  :
    — Sur vous-même, Monsieur mon fils, il va falloir m’en
dire un peu plus que par ce récit soigneusement expurgé. Vous avez parlé de
deux ou trois guêpes qui volettent autour de votre oreille. Qu’en est-il ?
    Je pris alors dans la poche de mon épaule le poulet anonyme
qu’on avait glissé la veille sous ma porte et je le lui tendis. Mon père le
lut, sourcillant fort, puis il le tendit à La Surie qui, à sa lecture, pâlit de
colère, mais sans éclater.
    — Voilà, dit mon père à la parfin, qui confirme
sinistrement mes appréhensions.
    — Vos appréhensions, Monsieur mon père ?
    — Oui-da ! J’ai toujours pensé, vu la proportion
que les choses prenaient, que derrière ces vertugadins endiablés et ce Corse
qui se paonne à la pensée que, Louis mort, et Gaston couronné, il deviendrait
le premier ministre du royaume, il y a d’autres forces en jeu, celles justement
qui répandent à foison dans le pays ces pamphlets venimeux

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