Le Maréchal Jourdan
avisé pour courir le risque de ternir sa réputation.
Si ce fut le cas, et c’est peu probable, il n’en est demeuré aucune trace, ce qui ne les empêcha pas, lui et sa femme, de fréquenter des collègues ou d’apparaître dans les salons des hôtels particuliers de certains médecins.
Moins d’un an après le mariage, naquit leur premier et unique fils, Jean-Baptiste, venu au monde le 29 avril 1762, peu de temps avant que ne prenne fin la guerre de Sept Ans. Son parrain était un haut magistrat de Limoges et sa marraine, sa grand-mère maternelle.
Un an plus tard, Jeanne Jourdan accoucha d’une fille qui fut prénommée Catherine Élisabeth, et un an après, d’une seconde fille, Marie. Ce fut alors que le malheur s’abattit sur la famille. Madame Jourdan avait mal supporté les fatigues de trois grossesses aussi rapprochées et mourut quelques jours plus tard. Sa plus jeune fille ne lui survécut pas. On peut s’étonner qu’un homme aussi averti qu’un maître chirurgien n’ait pas prévu chez sa femme ce genre d’accident et pris des précautions en conséquence.
Immédiatement se posa pour le père, le problème de l’éducation de ses deux enfants. Dans son entourage, on l’encouragea à se remarier pour leur donner une marâtre, mais il y répugna. Il avait aimé sa première femme et l’idée de donner une mère de substitution à son fils et à sa fille ne lui souriait guère. Certes, il engagea une gouvernante, tout en sachant que ce n’était là qu’une solution provisoire.
Lui-même était trop absorbé par sa profession pour avoir beaucoup de temps à consacrer à ses enfants. D’ailleurs, le problème fut (partiellement) rapidement résolu, car sa fille aînée ne survécut qu’un peu plus d’un an à sa mère. Restait le fils, Jean-Baptiste, qui, lorsque madame Jourdan disparut, n’était âgé que de deux ans et demi. Son père aurait pu l’envoyer comme pensionnaire dans une institution, mais il était encore beaucoup trop jeune. Déjà frustré de l’amour maternel, même si à l’époque on ne lui accordait que peu d’importance, comment aurait-il pu supporter d’être séparé de son père ? Roch Jourdan remit donc à plus tard sa décision. Sur cette période, qui s’étend environ sur quatre années, nous ne savons pratiquement rien. Dans ses écrits, en particulier la partie de ses mémoires qui n’est pas purement militaire, Jean-Baptiste Jourdan n’y a jamais fait allusion. Tout porte à croire que, laissé entre les mains de domestiques, il fut tout de même quelque peu materné par sa grand-mère. Mais si ce fut le cas, la vieille dame ne lui laissa pas des souvenirs marquants et durables.
Quoi qu’il en soit, cet état de fait où le bambin se trouvait un peu livré à lui-même et nouait des amitiés avec les enfants des voisins, pas toujours des plus fréquentables, ne pouvait se prolonger.
Très judicieusement, Roch Jourdan pensa que, tant qu’à mettre son fils en pension malgré son jeune âge, autant vaudrait-il mieux le confier à son frère, l’abbé Laurent, puisque celui-ci avait ouvert un établissement scolaire. Peut-être aussi, dans cette décision, une certaine nostalgie de sa Provence natale avait-elle joué un rôle. Et puis, sous la garde de son oncle qu’il ne connaissait d’ailleurs pas, l’enfant aurait moins l’impression d’être délaissé par sa famille. La grand-mère maternelle ne semble pas s’être opposée à cette décision. L’eût-elle fait que vraisemblablement Roch Jourdan serait passé outre. Mis au courant par son frère, l’abbé Laurent accepta sans hésiter de prendre en charge son neveu et d’assumer la responsabilité de son éducation. C’était tout à fait dans le cadre de son activité.
On ignore à quel âge exactement Jean-Baptiste Jourdan partit de Limoges. En tout état de cause, il était encore bien jeune et ne devait pas avoir plus de six ans, ce qui situe la séparation du père et du fils en 1768, année ou la France acheta la Corse à la République de Gênes, un an avant la naissance de Napoléon Bonaparte. Il était hors de question que pour un garçon aussi jeune le déplacement se fît à pied. Son père n’avait pas l’titention de lui offrir le luxe d’une chaise de poste. Ce fut donc dans une voiture publique, un coche, que le jeune Jourdan, sans doute sous la férule d’un domestique, fit le voyage.
Le chirurgien comptait vraisemblablement reprendre avec lui son seul
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