Le Maréchal Jourdan
tout compte fait,
ce royaume lui convenait assez bien car la vie, malgré la misère profonde du pays, lui semblait
facile et douce ; les femmes y avaient la réputation de ne pas être trop farouches.
Cette fois, il avait réussi à préserver ses droits éventuels à la couronne impériale. Il
comptait bien employer une partie de l’administration locale demeurée sur place,
mais son frère lui fournit une équipe de Français très compétents. Détail curieux, Napoléon
avait systématiquement formé celle-ci d’opposants à l’Empire
qu’il désirait employer à condition que ce fût loin de Paris :
c’étaient Mathieu Dumas, Roederer, Saliceti, Barrère, le très ancien et fidèle ami
de Jourdan, Macdonald, en disgrâce depuis 1800, et Jourdan lui-même.
Si Masséna commandait l’armée et Gouvion-Satit-Cyr l’ensemble des
garnisons (ce fut une source de frictions entre eux), tous deux souffraient visiblement de se
voir subordonnés à un homme qui – il le reconnaissait
lui-même – avait peu de compétences militaires. Napoléon s’en
avisa et décida de lui envoyer un conseiller. Il choisit Jourdan, toujours animé par le même
désir de l’employer à distance, et il eut la main heureuse car les deux hommes, qui
se connaissaient, devinrent vite des amis et s’entendirent bien, presque trop aux
yeux de Napoléon, toujours suspicieux. Jourdan partit en mars 1806 avec le
titre de gouverneur militaire de Naples, qui était une des nouvelles divisions du royaume et
sans doute la plus importante. Les attributions et pouvoirs de ce poste demeuraient des plus
vagues, de même que celui de conseiller ; et Joseph, qui le sentait mieux que
personne, nomma au bout de quelques mois le maréchal chef d’état-major de toutes les
forces armées du royaume.
*
La situation générale du royaume de Naples, telle que la trouva Joseph et la découvrit un peu
plus tard Jourdan, était loin d’être excellente. La noblesse dans sa grande majorité
boudait et le peuple restait dans l’expectative. L’état désastreux de
l’économie était dû pour une part au fait qu’en fuyant le roi avait
emmené non seulement le trésor public, mais tout l’argent qui se trouvait dans les
banques privées, même si ce n’était pas le sien. De plus, l’état
lamentable des routes rendait difficile la circulation des denrées. Jusqu’à
l’arrivée des Français, elles avaient été essentiellement acheminées par mer. Mais
celle-ci, tenue par les Anglais, rendait à présent le cabotage périlleux voire impossible.
Les affaires militaires se révélèrent également préoccupantes. Les troupes constituant
l’armée d’occupation étaient de qualité médiocre et souvent pauvrement
équipées. Capables de matitenir l’ordre face à des civils désarmés, elles semblaient
moins fiables s’il fallait les mener au combat. Ce fut du moins ce que Masséna
laissa entendre à Jourdan, avec qui il avait toujours entretenu de bons rapports, peu après son
arrivée.
Or, le roi et la reine des Deux-Siciles, toujours à Palerme, ne demeuraient pas inactifs. Ils
soutenaient moralement et matériellement les mouvements de résistance aux Français qui
s’étaient spontanément créés sur le continent. Ils rencontrèrent d’autant
plus de succès dans le petit peuple que celui-ci confondit facilement patriotisme et
brigandage. Le droit de tuer et de piller au nom du roi, quelle aubaine ! Dans les
Pouilles et en Calabre, régions pauvres, des bandes s’organisèrent et se donnèrent
des chefs. Certains devaient devenir célèbres, tel Fra Diavolo. Ils n’hésitaient pas
à s’attaquer à de petits groupes de soldats, aux voitures publiques et privées et à
tous ceux qui semblaient vouloir se rallier aux Français.
Mais il y eut plus grave. Gaète capitula le 18 juillet 1806. Il était
temps ! Déjà, comme un coup de semonce, les Anglais avaient occupé le
11 mai, le jour même où Joseph faisait une entrée officielle dans sa capitale,
l’île de Capri, à l’entrée du golfe de Naples. Puis, les premiers jours
de juillet, une armée anglo-sicilienne comprenant cinq mille Anglais et huit mille Siciliens
débarqua dans la baie de Sant’Eufemia, au nord de Reggio. Ne doutant de rien, les
Siciliens avaient inclus dans leurs bagages une potence destinée à Joseph ! Non loin
du potit de débarquement, la division
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