Le Maréchal Jourdan
plus chez lui la virulence de jadis.
Atténués, tempérés, ils étaient presque devenus propos de salons. Le plus curieux, peut-être,
restait le fait qu’il était quotidiennement en contact avec les ministres français
de Joseph, tous anciens conventionnels comme Saliceti ou Barrère, éloignés de Paris par
Napoléon pour cette raison et qui étaient restés, sinon totalement fidèles à leurs idées, un
peu moins éloignés de celles-ci que le maréchal !
Les deux années qu’il allait passer à Naples furent parmi les plus paisibles et
les plus heureuses de la carrière de Jourdan. Après l’échec de la tentative de Sir
John Stuart, les Anglais, comprenant que tout essai de reconquête du royaume continental serait
voué à la défaite, avaient décidé de cantonner prudemment en Sicile. De son côté, Jourdan,
après s’être penché sur la question pour répondre à un souhait de Joseph, talonné
par son frère, avait conclu que pour entreprendre la conquête de la grande île il faudrait
disposer de moyens que Napoléon ne lui fournirait jamais. D’abord, il devrait
considérablement renforcer l’armée de Naples. Ensuite, il lui faudrait disposer de
plusieurs centaines de transports et ceux-ci n’existaient pas dans tout le royaume.
Enfin l’appui, au minimum de l’escadre de la Méditerranée basée à Toulon,
serait indispensable, et Napoléon n’était pas disposé à la risquer dans cette
affaire. C’est pourquoi la conquête de la Sicile demeura à l’état de
vague projet et ne fit même pas l’objet d’une étude approfondie.
Le travail de Jourdan était des plus simples et il put consacrer beaucoup de temps à sa
famille, ce qui est quelque peu étonnant pour le chef d’état-major général
d’un royaume en situation incertaine. Ses filles grandissaient. C’étaient
de ravissantes jeunes personnes et étant donné la position de leur père de beaux partis. Au
début de 1808, il maria les deux premières avec quelque hâte car il savait que, sous peu, il
allait quitter Naples. L’aînée, Angélique Catherine, âgée de dix-sept ans, fit un
très grand mariage. Elle connut une passion amoureuse avec le prince de Leporano, duc de
Schiavi. C’était un très grand seigneur napolitain, premier gentilhomme de la
chambre du roi des Deux-Siciles, le vrai, pas Joseph, et il put paraître étonnant
qu’il épousât une Française, fille de roturiers, et un des principaux ministres de
l’usurpateur. Ce couple eut une nombreuse descendance qui s’est perpétuée
jusqu’à nos jours.
La seconde, Camille, se maria avec un Corse, le comte de Satit-Anastase,
qui était ministre des Postes du royaume, en somme un haut fonctionnaire,
et elle eut également une nombreuse descendance. Les trois dernières ne convolèrent
qu’après 1815. La double cérémonie eut lieu le même jour
(8 mai 1808). Par ces unions avec la plus authentique noblesse, Jourdan
rompait-il vraiment avec son passé révolutionnaire ? On l’a soutenu. En
fait, le personnage était assez complexe pour se présenter à la fois comme un défenseur des
idées de la Révolution et un gardien des anciennes traditions. Il allait toutefois avoir ses
convictions nouvelles sérieusement battues en brèche dans l’affaire des duchés.
*
De bonne heure, Napoléon avait prévu de créer une noblesse d’Empire mais, devant
la vigueur de certaines réactions, il avait jugé prudent de ne pas pousser son idée plus avant.
Simplement, il créa deux princes : Pontecorvo, attribué à Bernadotte, à présent
quelque peu allié de la famille, et Neuchâtel, qui était déjà un mini-État indépendant et qui
revtit à Berthier. Puis, il allait attendre deux ans pour créer un certain nombre de duchés en
Italie que, sur le moment, il se garda d’attribuer. Mais, en 1807, il avait déjà
fait de Lefebvre un duc de Dantzig après le siège et la prise de la ville effectués par
celui-ci. Aussi, au début de 1808, décida-t-il que ses maréchaux devraient faire partie de ce
nouvel ordre social et seraient, par principe, ducs. Mais, par souci de les matitenir dans un
rang inférieur au sien, il arrêta que leurs titres, de préférence une ville italienne,
n’auraient aucun rapport avec leurs exploits militaires passés. Une première liste
fut donc dressée et soumise pour approbation aux titéressés. Tous n’y figuraient
pas.
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