Le Maréchal Jourdan
prend donc une dimension beaucoup plus large que les mémoires de
certains de ses camarades qui s’en sont tenus seulement aux actions auxquelles ils
se sont trouvés mêlés.
Cette prise de position lui a permis de juger, parfois sévèrement, un certain nombre de
personnages qui se sont trouvés en Espagne et rend d’autant plus titéressants et
précieux ces souvenirs.
Dès le début de son séjour, Jourdan comprit qu’il se trouvait dans une situation
sinon fausse, du moins mal définie et ambiguë. Napoléon avait bien reconnu qu’il
était chef d’état-major général des armées d’Espagne mais sans fixer avec
précision l’étendue de ses pouvoirs, en particulier pour les corps
d’armée français, qui constituaient la quasi-totalité des forces à la disposition du
roi. De plus, l’empereur pratiquant toujours sa politique consistant à donner et
reprendre à la fois s’était bien gardé de faire savoir, aussi bien à Joseph
qu’à Jourdan, que chacun de ces chefs de corps avait reçu de Berthier des
instructions secrètes, lui précisant qu’il devait obéir aux ordres de
l’empereur avant ceux qui pourraient lui parvenir de l’état-major du
roi.
Il allait en résulter que ces maréchaux et généraux profitèrent de ces directives aberrantes
pour n’obéir à personne. Chacun se cantonna dans son secteur et y agit en toute
indépendance. Sur les sept corps que comptait l’armée française d’Espagne
et qui alignaient plus de cent soixante mille hommes, dont onze mille cavaliers appuyés par
plus de deux cent cinquante pièces d’artillerie, Jourdan ne put véritablement
exercer un contrôle que sur les vingt mille hommes du 5 e corps.
Les autres chefs : Victor, Soult, Junot, Mortier, Ney et Gouvion-Satit-Cyr,
invoquèrent les motifs les plus invraisemblables pour ne pas se plier à ses ordres. Certains
allèrent jusqu’à prétendre qu’ils ne pouvaient lui obéir car ils étaient
ducs et lui pas ! Parfaitement tenu au courant de cet état de fait, Napoléon ne fit
jamais rien pour rétablir l’ordre. Dans ses mémoires, Jourdan a rapporté le
singulier raisonnement de ses camarades, le déplorant mais reconnaissant qu’il ne
disposait d’aucun moyen pour faire accepter ses instructions. L’empereur
avait commis une faute grossière en voulant commander à une aussi grande distance. De son côté,
Jourdan n’aurait pas dû s’accommoder d’une situation aussi
floue et donner sa démission en découvrant la manière dont il était traité. Mais on sait
qu’il avait du mal à renoncer à des fonctions importantes et aux avantages
qu’elles impliquaient.
Au fond, Napoléon craignait que le tandem Joseph/Jourdan ne fonctionnât trop bien et
qu’ils remportent des succès dans lesquels lui-même n’aurait joué aucun
rôle. Il se méfiait des deux hommes. De cet état d’esprit allaient sortir des
situations impossibles qui conduiraient au désastre final.
Jourdan, dès son arrivée, prit quelques mesures énergiques, ce que n’avait su ni
osé Joseph. Depuis le camp de Miranda où était installé le quartier général en vue de préserver
les Français contre les tentatives d’assassinat, il fit avertir la population par
voie d’affiches que : « Quiconque sera pris les armes à la
main, sans autres formalités sera pendu. Les communes seront responsables de la mort de tout
Français sur leur territoire. »
Le roi Joseph, qui pourtant n’était pas partisan de la violence, ne trouva rien à
redire. Sa propre position était aussi difficile et fausse que celle du maréchal.
Lorsqu’il était entré en Espagne pour « remonter la machine »,
Napoléon aurait dû normalement l’avoir en permanence à ses côtés pour bien faire
comprendre que sa présence était une assistance de souverain à souverain. Or, il
n’en avait rien été. Napoléon l’avait laissé constamment et
systématiquement à l’arrière et, une fois parvenu à Madrid, au lieu de le
réinstaller au palais royal, il l’avait envoyé camper hors de la ville, à la villa
du Pardo. Il est vrai que lui-même pendant ce temps était installé dans celle de Chamartin.
Dans cette espèce de solitude, Joseph, qui commençait à mesurer l’ensemble des
difficultés qui l’attendaient, songea une fois de plus à démissionner et à se
retirer à Mortefontaine où la vie serait autrement plus
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