Le maréchal Ney
la manière dont il avait su mener sa mission en Helvétie avait plu à l’empereur... ainsi qu’à Talleyrand, qui le considérait comme un militaire utilisable. Mais ne fallait-il pas voir aussi dans son élévation l’influence de la faction Beauharnais et aussi celle de Berthier, toujours obnubilé par l’envergure de Murat ? Napoléon ne voulait-il pas par ce geste s’attacher un général qu’il commençait à apprécier ? Il subodorait que Ney, dans un commandement plus important qu’une division, pouvait présenter des lacunes, et le fait qu’il ait recruté Jomini, dont il avait entendu parler, plaidait en sa faveur et parut intéressant à l’empereur.
Le seul qui ne se posa pas de questions fut Ney lui-même. Il n’en ressentit pas un orgueil excessif, même si Eglé fit grand cas d’être devenue « madame la maréchale ». Il montra un peu plus de chaleur dans ses démonstrations vis-à-vis du pouvoir. C’était bien le moins qu’il pouvait faire.
Au camp de Montreuil, il continua à entraîner dans une atmosphère de fête son corps d’armée en vue d’une invasion de l’Angleterre. Cette situation se prolongea toute l’année 1804 et jusqu’en juillet 1805. La grande question dont discutaient passionnément les officiers était de savoir comment ils traverseraient la Manche. Tout le monde avait compris que les flottilles d’embarcations réunies dans les ports du littoral, à bord desquelles se multipliaient les exercices d’embarquement, ne pourraient prendre le large que sous la protection d’une flotte de haut bord. En effet, au large, croisaient les escadres anglaises. Il était hors de question de les affronter sans escorte.
Jomini, étalant sa science avec pédantisme, ne s’était pas fait beaucoup d’amis à l’état-major de Montreuil. Ney qui l’avait senti se faisait un malin plaisir de le retourner sur le gril pour tenter de le mettre en défaut. Hélas, le Suisse était bien trop avisé, et ces affrontements tournaient souvent à son avantage. Un soir, autour de la table du souper, l’éternelle question du débarquement fut mise sur le tapis :
— Et vous, monsieur le Suisse, qu’en pensez-vous, demanda Ney ?
— Monsieur le maréchal, répondit froidement Jomini, c’est aux marins de décider si la chose est possible... Élevant le débat, il ajouta : Mais lorsqu’elle le serait, il faudrait savoir si elle est opportune !
L’étonnement fut général. Aucun des convives n’avait songé à cette troisième coalition qu’avait nouée contre nous la Grande-Bretagne et qui comptait, outre elle-même, la Russie, l’Autriche, Naples et la Suède. Avec quelques semaines d’avance, l’aide de camp montrait comment allait sans doute opérer l’Autriche. Sur le moment Ney réagit avec colère, mais il ne devait pas tarder à admirer son premier adjoint.
Convoqué à Paris à la mi-juillet avec les autres maréchaux, Ney se vit récompensé par de nouvelles faveurs : il était fait grand officier de la Légion d’honneur et recevait – fonction purement honorifique – le commandement de la septième cohorte de ce nouvel ordre de chevalerie. Les railleries de Moreau étaient loin. Le 15 août, au camp de Boulogne, Napoléon décora un certain nombre de soldats et d’officiers subalternes. Cette magnifique cérémonie marqua le zénith de la préparation. Hélas, la flotte de l’amiral de Villeneuve ne paraissait point. Le rendez-vous de nos escadres aux Antilles avait été manqué. De toute manière, même s’il s’était présenté à l’entrée de la Manche, Villeneuve aurait dû affronter sans aucune chance de succès les forces anglaises de Cornwallis, beaucoup plus puissantes que les siennes.
Les prophéties de Jomini étaient en train de se réaliser. L’Autriche, profitant de ce que le gros des forces françaises était concentré face à la Grande-Bretagne et que notre frontière de l’Est se trouvait à peu près dégarnie, avait mobilisé. Avant la fin août, Napoléon comprit que l’invasion devait être remise à plus tard. Il ordonna le 27 août à la Grande Armée la célèbre volte-face qui devait la conduire au coeur de l’Europe centrale.
Il n’était que temps. Le 10 septembre, les troupes autrichiennes du général Mack franchissaient la frontière et pénétraient sur les terres de la Bavière, notre alliée.
C HAPITRE IV
« ORDONNE QU’ELCHINGEN PAR NEY
SOIT EMPORTÉ... {2} »
(1805-1806)
Si la nouvelle
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