Le maréchal Ney
théorie, ne présentait pas trop de difficultés, car la rivière était parsemée d’îlots et de bancs de sable. Mais la température de l’eau rendait l’opération malaisée. On connaît cet épisode et le dévouement admirable du général Eblé et de ses pontonniers.
Koutousov s’était, à ce moment, décidé à passer à l’offensive, mais l’état de sa propre armée était tel qu’il ne put la mener vigoureusement. Entre le 27 et le 28 novembre, l’armée passa l’obstacle. Ney et le troisième corps le franchirent très tôt, formant l’avant-garde. Ils prirent position sur la rive ouest pour établir un barrage contre le corps russe de Tchitchagov dont, avec raison, on craignait qu’il ne revînt sur ses pas. Une fois de plus, sans attendre vraiment l’ennemi, Ney, malgré les faibles effectifs dont il disposait, contra sèchement la tentative de l’adversaire. Il se jeta sur lui, coupant en deux sa colonne principale et lui fit deux mille prisonniers et mille autres un peu plus tard, en cueillant les fuyards. Ce qu’il avait d’artillerie, bien peu de chose, n’avait eu aucune peine à réduire au silence celle des Russes, montée sur traîneaux pour la rendre plus mobile et, de ce fait, très imprécise.
Ce succès limité permit toutefois à l’armée française de progresser au-delà de la Bérézina. Ney, à présent, dont le corps était avec celui de Davout le seul à présenter quelque cohésion, était sollicité par l’empereur pour se porter sur tous les points critiques. Repassant une fois de plus de l’avant-garde à l’arrière-garde, Ney fut chargé de bloquer l’avance russe afin de permettre aux derniers soldats, souvent isolés, de rattraper le gros des troupes.
Le système de recul adopté par Ney était suffisamment simple pour s’appliquer dans ces circonstances difficiles, et en même temps efficace. Le maréchal arrêtait ses hommes vers cinq heures du soir, à la tombée de la nuit, les faisait manger dans la mesure du possible et leur accordait cinq à six heures de repos. Puis vers dix, onze heures, il se remettait en route. En les forçant à se déplacer de nuit, il les empêchait de dormir et de succomber au froid dans leur sommeil. Dans le même temps, il évitait le contact avec les Russes, peu entraînés au combat nocturne. A l’aube, il accordait un nouveau temps de repos et se préparait à combattre pendant la journée tout en continuant sa route et en accomplissant son travail d’arrière-garde. La personnalité de Ney joua un grand rôle au cours de cette retraite. Ce fut en montrant un exemple constant et en partageant leur vie et leurs souffrances, sans jamais se plaindre, que le maréchal put garder son ascendant sur ses soldats français ou étrangers (en particulier les Wurtembergeois). Il maintint efficacement avec un minimum de discipline la valeur militaire de son corps d’armée.
Le 29 novembre, Ney, passé de l’avant-garde à l’arrière-garde, et voyant les divisions s’écouler devant lui, prit position à l’orée d’une forêt pour arrêter, ainsi qu’il l’avait souvent effectué, l’armée russe. Lorsqu’il vit arriver le général Eblé, déjà malade des suites des bains forcés dans la Bérézina, dont il mourrait, il lui transmit le coeur serré les instructions de Napoléon : « Détruire en les incendiant les deux ponts pour empêcher les Russes de les utiliser. » Sans un mot, Eblé, accompagné de ses derniers pontonniers, rebroussa chemin pour exécuter l’ordre. Le but recherché ne fut même pas atteint. Le thermomètre continuant à descendre, la température atteignit -30°. La Bérézina se trouvait entièrement prise par les glaces. L’armée russe, artillerie comprise, put traverser à pied. Une dizaine de milliers de Français, demeurés sur la rive est pour contenir la poussée ennemie, furent capturés.
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Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, un coup d’État faillit réussir à Paris. Il était fondé sur la nouvelle fausse que Napoléon était mort en Russie. Lorsque le rapport en parvint à l’empereur, tout était déjà rentré dans l’ordre. Mais ce qui frappa le plus le souverain, ce ne fut pas la facilité avec laquelle les conjurés avaient pu agir, mais que personne n’ait songé à son héritier légitime, le roi de Rome. Il décida donc brusquement de rentrer à Paris. Abandonner son armée dans l’état de décomposition où elle se trouvait présentait des risques
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