Le Maréchal Suchet
curriculum in extenso . Mais rapidement il y renonça et se contenta, ce qui représentait déjà un travail énorme, de rapporter les faits sur ses cinq années de commandement en Espagne.
Pour commencer, il fit graver les plans de toutes les villes, quelle que fût leur importance, qu’il avait assiégées. Ils étaient destinés à constituer une partie d’un atlas des campagnes qu’il avait menées dans la péninsule et qui accompagnerait les mémoires, leur servant en quelque sorte de complément explicatif. Ce seul travail lui coûta près de quinze mille francs (or). Il est malheureusement aujourd’hui à peu près introuvable.
Les mémoires en eux-mêmes sont d’un intérêt considérable. Le maréchal les rédigea lui-même. Son travail avançait lentement, car il procédait avec la minutie et le souci du détail qui avaient toujours été ses qualités. Avec son esprit d’équité, il a rapporté, sans rien en omettre, des actions de ses subordonnés qui auraient paru insignifiantes à d’autres qu’à lui. Toutefois, il a su garder en même temps la largeur de vues qui permet de survoler dans chaque campagne l’ensemble des opérations. Cette synthèse assez particulière rend la globalité du travail tout à fait originale et permet de se faire une opinion éclairée sur ce que fut l’action en Espagne de Suchet et de ses collaborateurs.
Évidemment, c’est également un plaidoyer pro domo. Le maréchal monte en épingle ses actions les plus brillantes et passe soigneusement sous silence les cas (assez rares) où son rôle prête à discussion, comme par exemple les raisons qui l’amenèrent à quitter sans autorisation le commandement de sa division et à se rendre à Burgos chez le général Thiébault, en attendant qu’on voulût bien lui confier un corps d’armée.
L’œuvre, par son caractère très technique, son style froid et précis, l’énumération parfois un peu fastidieuse des fournitures constituant les prises de guerre, répond à l’objectif du maréchal : écrire un ouvrage essentiellement destiné à des officiers et non pas au grand public. Aucune place n’y est faite aux sentiments personnels.
Bien qu’il y ait travaillé presque quotidiennement à partir du moment où il décida de les entreprendre, le maréchal n’avait pas tout à fait terminé ses mémoires lorsqu’il mourut prématurément, emporté par la maladie dans les premiers jours de 1826. Ce fut son ancien chef d’état-major, le fidèle général Saint-Cyr Nugues, qui, suivant sa volonté, y apporta la dernière touche sans toutefois oser rédiger la conclusion qui manque, et c’est grand dommage. Le chapitre XXI et dernier s’arrête à une manière de justification comptable qui laisse à penser qu’il ne fut pas achevé car le commandement de l’armée du Midi par Suchet, après la bataille de Toulouse, n’est même pas évoqué.
On ignore si Suchet avait commencé à jeter quelques notes sur le papier dans le but de rédiger cette conclusion. Puis, l’année suivante, en 1827, Saint-Cyr Nugues en assura la publication. Il allait falloir attendre jusqu’en 2002 pour qu’une seconde édition ne comprenant pas l’atlas vît le jour.
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En dehors de la rédaction de ses mémoires, le maréchal qui, quelles que fussent les circonstances, l’avait toujours surveillée de près, s’occupa sérieusement de la gestion de sa fortune. Il n’était pas lyonnais pour rien et, dès les premiers jours de la Restauration, se plaignit à qui voulait l’entendre des difficultés matérielles qui étaient devenues les siennes. Il avait perdu et n’en faisait pas mystère toutes les rentes sur l’étranger distribuées par Napoléon
Si les trois premières sur le duché de Varsovie et la Westphalie étaient relativement modestes et atteignaient à peine cinquante mille francs (Suchet sur ce terrain fut un des plus mal lotis et l’empereur ne se montra pas particulièrement généreux avec lui), par contre la perte des revenus des pêcheries d’Albufera, qu’il n’avait plus perçus depuis juillet 1813, était plus sévère car elle s’élevait à plus de deux cent mille francs. S’étaient également envolés les émoluments de gouverneur du palais de Laeken, de colonel général de la garde impériale et de général en chef. Il ne lui restait plus que sa solde de maréchal de France, sa pension de la Légion d’honneur et une rente sur le grand livre, le tout dépassant
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