Le Maréchal Suchet
car il n’était pas parvenu au pied des murailles de Gênes et Suchet, au lieu de replier ses troupes sur la ville, les avait fait pivoter en direction de Nice. Il était, certes, isolé du gros de l’armée mais, jusqu’à nouvel ordre, interdisait toute tentative d’invasion de la France. Cependant, Masséna était assez mécontent de la manière dont Suchet avait conduit la bataille, estimant qu’il aurait pu et dû bloquer les Autrichiens au col de Cadibona. Lui-même sur le front de Soult avait immédiatement contre-attaqué et fait reculer les troupes de Ott de cinq kilomètres.
Masséna était bien décidé à tout tenter pour rétablir la liaison avec Suchet, non pas qu’il manquât de confiance en ce dernier, mais le contrôle de la route de Nice était absolument nécessaire à son ravitaillement. Il prépara donc une contre-offensive générale, et comme elle nécessitait une coordination parfaite entre les mouvements de Soult et ceux de Suchet, il expédia à celui-ci des instructions qu’il chargea Oudinot, son chef d’état-major, de lui porter.
Oudinot s’embarqua sur un navire léger commandé par Bavastro et atteignit sans encombre Loano, le 8 avril, là où Suchet avait installé son quartier général. Sans peine, Oudinot reconnut que le corps de Suchet, après les rudes combats des jours précédents, était incapable de participer à une offensive d’autant qu’il était à court de munitions. Tout ce que put faire le lieutenant général fut d’esquisser un mouvement en avant qui ne trompa pas les Autrichiens. Ceux-ci purent concentrer leurs forces contre celles de Soult qui, de ce fait, ne put mener à bien sa propre offensive. Par la suite, ce général quelque peu perfide laissa entendre que Suchet était demeuré immobile (ce qui est inexact) par pure jalousie. Toutefois, plusieurs historiens devaient sans hésiter adopter cette thèse.
En fait, Suchet expliqua à Oudinot qu’il balançait dans l’alternative suivante : soit il jetait toutes ses forces dans une tentative d’ouvrir la route de Gênes avec des chances de succès très limitées et la certitude qu’après cela son corps d’armée serait réduit à rien, soit il les conservait pour couvrir la France contre un danger d’invasion. Compte tenu des mouvements des Autrichiens, cette menace devait être prise très au sérieux. Oudinot reconnut la justesse du raisonnement.
Pendant tout le mois d’avril, Melas s’efforça d’élargir la brèche qu’il avait ouverte dans le dispositif français. Suchet s’accrochait au terrain mais gardait un œil sur sa gauche. La division Lesuire tenait le col de Tende et y résistait à la pression du corps d’Elsnitz. Toutefois, les Autrichiens au prix de pertes élevées parvinrent à s’en rendre maîtres le 6 mai en fin de journée. La position de tout le corps de Suchet devenait critique. Désormais, les Autrichiens se rabattant vers la côte pouvaient encercler ses unités. De plus, il craignait que les Anglais ne tentent de débarquer des troupes sur ses arrières pour tendre la main aux Autrichiens et consolider leur blocus. Même la ligne de Vintimille qu’il avait envisagé d’occuper devenait intenable. Il se résigna donc à reculer jusqu’à la frontière française, abandonnant une grande portion de terrain mais sauvant son armée.
Il n’hésita pas à évacuer Nice mais jeta une petite garnison dans le fort du mont Saint-Alban, situé sur la montagne qui sépare la rade de Villefranche de la plaine de Nice. Sa position stratégique de premier plan permettait à son artillerie de balayer la route du littoral, ce qui gênerait considérablement les Autrichiens. De plus, Suchet resta en communication permanente avec le commandant du fort, grâce à une invention toute nouvelle qu’il mit en pratique : un télégraphe optique.
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Masséna, toujours persuadé que Suchet avait plus de dix mille hommes sous ses ordres alors qu’il ne lui en restait que cinq mille et qu’il était à court de vivres et de munitions, ne comprenait pas qu’il eût opéré une telle retraite. Mais, cloué qu’il était à Gênes, il ne pouvait pas intervenir. Cependant, Suchet, livré à lui-même, s’organisait pour résister à la poussée autrichienne. À leur habitude, les généraux de Melas firent preuve d’une certaine nonchalance dans leur progression, ce qui laissa à Suchet le temps d’élever des fortifications de campagne. Il s’établit sur la rive
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