Le Maréchal Suchet
française du Var « et s’y enterra jusqu’aux dents ». Installé depuis l’embouchure du fleuve jusqu’à Gilette, il confia le commandement de son aile droite à Rochambeau, celui du centre à Mengaud et celui de l’aile gauche à Garnier. Toutefois, il maintint une tête de pont sur la rive gauche du Var car, en ce point, s’élevait une redoute bien armée et protégée par un fossé profond plein d’eau. Celle-ci allait fortement gêner les assaillants qui feraient sans succès des efforts pour s’en rendre maîtres. Ce fleuve côtier ne constituait pas en lui-même un obstacle formidable. Tout de même, large de six cent cinquante mètres, sa traversée était plus malaisée qu’il ne pouvait paraître au premier abord et, même s’il était guéable en plusieurs endroits, le simple fait de le franchir cassait l’élan d’une colonne d’assaut.
Entrés à Nice le 11 mai, les Autrichiens ne perdirent pas de temps à élever des fortifications en vue de stopper une attaque éventuelle de Suchet ! Celle-ci était pourtant d’autant plus improbable que les impériaux étaient assurés d’une supériorité numérique écrasante (neuf brigades et une cinquantaine de pièces d’artillerie). En outre, ils disposaient de l’aide des pièces d’une flottille de corvettes anglo-napolitaines, appuyées par quelques frégates qui croisaient dans la baie des Anges.
La position de Suchet était moins mauvaise qu’il n’aurait pu paraître. Certes, il avait dû abandonner une partie de son artillerie en évacuant Nice. Mais l’arsenal de Toulon lui avait remplacé ces pièces et l’avait abondamment pourvu en munitions. Le département français, sur lequel il campait, craignait une invasion autrichienne et les autorités faisaient leur possible pour lui fournir un ravitaillement qui, jusque-là, lui avait plutôt fait défaut. Il avait reçu un renfort de mille hommes, ce qui était appréciable. En outre, s’il était déterminé à attendre l’assaut de l’ennemi sans sortir de sa position, il mena dans le style de son patron quelques actions limitées pour tenter, avec plus ou moins de succès, de démanteler les batteries que les Autrichiens mettaient en place. Faute d’y réussir complètement, il gêna beaucoup leurs travaux, gagnant un temps précieux.
Les Autrichiens comprenaient qu’ils devaient se hâter s’ils voulaient chasser Suchet de ses retranchements, car la menace que faisait peser sur eux l’armée de réserve commandée par Berthier et Bonaparte devenait chaque jour plus précise. Ils lancèrent donc successivement, à quelques jours d’intervalle, trois assauts contre les lignes de Suchet. Chaque fois, ils les firent précéder par une sérieuse préparation d’artillerie à laquelle les canons de Suchet répliquèrent de leur mieux. À la troisième et dernière tentative, les Français usèrent d’une ruse de guerre. Au tir préparatoire des Autrichiens et des Anglais, ils ripostèrent à peine, ce qui fit croire aux assaillants qu’ils étaient à court de munitions ou que leurs pièces étaient démontées. Aussi le général Elsnitz résolut, dans la nuit du 26 au 27 mai, de lancer un assaut par surprise sur la tête de pont qu’avaient maintenue les Français. Accueillis par un feu roulant, décimés, ses bataillons furent, une nouvelle fois, repoussés. Ce fut le dernier effort des Autrichiens. Ils allaient bientôt entamer leur retraite et Suchet pourrait passer à la contre-offensive.
Entre le 30 mai et le 1 er juin, ses hommes pleins d’enthousiasme enlevèrent les quatre redoutes du lieu-dit « le camp des Fourches » et, dans la foulée, remontant la vallée de la Roya, réoccupèrent le col de Tende. Le général autrichien Elsnitz, qui y avait installé son quartier général, fut contraint de s’enfuir en chemise, à pied par un sentier de montagne, abandonnant bagages et équipages et de courir ainsi jusqu’à Coni.
Suchet d’habitude si prudent dans ses mouvements était à présent déchaîné. Répondant aux désirs de Masséna, il fonçait pour assurer sa jonction avec son patron, bousculant devant lui les Autrichiens en pleine retraite, leur raflant quatorze mille prisonniers et trente-sept pièces de canon. Déjà, le 29 mai, il était rentré à Nice qu’il avait traversée sans s’y arrêter, laissant aux commissaires civils le soin de régler leurs comptes aux habitants qui avaient eu l’imprudence de collaborer avec les
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